La dénucléarisation de la Corée du Nord est impossible

Le quatrième essai nucléaire nord-coréen enferme encore un peu plus Pyongyang dans une impasse nucléaire, résultat tant de la détermination du pays à se doter d’une force de dissuasion, que de l’échec de la communauté internationale à l’en empêcher. La Chine, notamment, est incapable d’influencer son voisin et allié, et la perspective d’une véritable coopération sino-américaine semble peu probable. La dénucléarisation de la Corée du Nord parait plus difficile que jamais, voire désormais impossible.

Depuis plus de 20 ans, la Corée du Nord a défié les efforts de la communauté internationale et de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) afin de mettre un terme à son programme nucléaire militaire. Les stratégies visant un « démantèlement complet, vérifiable et irréversible » du programme nucléaire nord-coréen, qu’elles soient basées sur les incitations ou les sanctions, qu’elles soient unilatérales ou multilatérales comme les Pourparlers à six ayant existé de 2003 à 2009, ont toutes échoué. Le dernier accord en date dit du Leap Day Deal, signé avec les Etats-Unis en février 2012 et visant un gel du programme nucléaire en échange d’aide humanitaire, n’aura duré que quelques semaines.

Le pays s’est retiré du Traité de non-prolifération nucléaire en janvier 2003, a déclaré en février 2005 qu’il avait fabriqué des armes nucléaires, a effectué deux essais nucléaires en octobre 2006 et mai 2009, a révélé la construction d’une installation d’enrichissement d’uranium en novembre 2010, a réalisé un troisième essai nucléaire en février 2013, et a annoncé en décembre 2015 posséder une bombe à hydrogène. L’essai nucléaire réalisé le 6 janvier 2016, à la grande surprise de la communauté internationale, s’inscrit dans une stratégie nord-coréenne cohérente et à long terme.

Alors que les armes nucléaires nord-coréennes ont longtemps été perçues, à l’étranger et à tort, comme un outil de marchandage que le pays pouvait abandonner contre des garanties de sécurité et surtout des bénéfices économiques, elles apparaissent désormais tant comme des armes de dissuasion que comme des armes identitaires, rendant d’autant plus difficile, voire impossible, la dénucléarisation du pays à court terme.

Premièrement, dans un contexte d’effondrement de régimes autoritaires suite à des interventions occidentales, de l’Afghanistan à la Libye en passant par l’Irak, le régime nord-coréen considère l’arsenal nucléaire comme son ultime force de dissuasion assurant la protection du régime contre toute intervention militaire extérieure. Deuxièmement, la détention d’armes nucléaires permet de rétablir un équilibre des forces relatif dans la péninsule coréenne face à une Corée du Sud, alliée des Etats-Unis, et dont les capacités militaires conventionnelles dépassent celles de la Corée du Nord. Troisièmement, l’arme atomique est devenue une arme identitaire, légitimant l’autorité de Kim Jong-un en protecteur de la nation, le caractère héréditaire du régime, et les sacrifices imposés à la population nord-coréenne. Leur possession a été institutionnalisée par le régime, à travers la réforme constitutionnelle de 2012 et l’officialisation de la stratégie nationale de Byungjin – le développement parallèle des capacités militaires, dont nucléaires, et économiques du pays.

L’échec de la communauté internationale face à la radicalisation de la stratégie nucléaire nord-coréenne, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, est frappant. Il est le symptôme de l’incapacité des principales puissances régionales, notamment la Chine et les Etats-Unis, à coopérer effectivement. Si les deux géants affichent leur entente, comme lors du Sommet de Sunnylands en juin 2013, celle-ci n’est que relative. Les deux pays ne partagent ni la même hiérarchie d’intérêts, ni la même stratégie vis-à-vis de la Corée du Nord.

Si la Chine exprime publiquement son agacement et sa frustration vis-à-vis de son voisin depuis 2006, sa priorité demeure la stabilité de la péninsule, et non la dénucléarisation de la Corée du Nord. Pékin et Pyongyang demeurent des otages mutuels. La Chine a besoin que la Corée du Nord ne s’effondre pas, et la Corée du Nord a besoin de la Chine pour ne pas s’effondrer. Les débats dans la presse et au sein du monde académique chinois doivent donc être mis en perspective, et la Chine ne peut toujours pas « abandonner » son allié.
Pékin s’oppose donc à toute sanction qui pourrait fragiliser le régime et in fine conduire à son effondrement, ce qui équivaudrait à ouvrir la « Boite de Pandore » dans sa périphérie, une période de fortes incertitudes stratégiques pour la poursuite du développement de la Chine. Le pays préfère donc une Corée du Nord relativement stable mais nucléaire, à une Corée du Nord dénucléarisée mais instable.

A l’inverse, la priorité de Washington est la dénucléarisation de la Corée du Nord. Les Etats-Unis considèrent qu’un isolement politique et économique poussera le régime à abandonner ses armes nucléaires. La politique américaine de « patience stratégique », adoptée depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, vise ainsi à faire pression sur la Corée du Nord sans répéter les erreurs des administrations passées qui ont fait d’importantes concessions à la Corée du Nord sans résultat significatif. Au grand dam de Pékin qui entend jouer le rôle de médiateur régional, Washington refuse donc de reprendre les Pourparlers à six avant toute avancée concrète en termes de dénucléarisation du pays.

Alors que l’accord international sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 avait pu laisser espérer une reprise des négociations sur le programme nucléaire nord-coréen, le pessimisme est désormais de mise. L’incapacité des Etats-Unis et de la Chine à se mettre d’accord sur une stratégie de dénucléarisation cohérente ne fait qu’enfermer encore un peu plus la Corée du Nord dans son impasse nucléaire.

Antoine Bondaz est docteur, chercheur associé à Asia Centre et ancien chercheur invité au Carnegie Endowment for International Peace.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *