La désinformation orchestrée par les séparatistes catalans est une menace pour la démocratie espagnole

Toute contre-vérité est susceptible de rejoindre la réalité. Le document « Pour le respect des libertés et des droits fondamentaux en Catalogne », signé par 41 sénateurs français et publié le 24 mars sur le blog (hébergé par Mediapart) du sénateur des Hauts-de-Seine André Gattolin, le fait en déclarant qu’« en tant qu’Européens et en tant que Français nous nous sentons concernés par les événements graves qui se sont déroulés en Catalogne ». Effectivement, la crise catalane est un problème pour l’Europe, qui démontre une fois de plus à quel point la désinformation traverse les frontières. Son objectif est de créer une défiance à l’égard des institutions démocratiques et parmi des partenaires européens, comme une première étape vers la déstabilisation de tout projet européen. Il s’agit bien d’un problème européen auquel il faut faire face.

La dimension européenne de la crise en Catalogne a également été signalée dans la tribune d’Oriol Junqueras et d’Alfred Bosch publiée sur Lemonde.fr le 7 mars. Cependant, le risque n’est pas là où ils le signalent, mais dans une dimension beaucoup plus inquiétante ; la polarisation au niveau national et européen. La désinformation orchestrée par les séparatistes catalans est, effectivement, une menace pour la démocratie et un problème pour l’Europe. Nous nous trouvons par ailleurs face à une erreur historique : celle qui consiste à utiliser, une fois de plus, la distorsion de la réalité pour diviser la société.

Comme s’il s’agissait de la notice d’un médicament, Junqueras [vice-président catalan destitué par le gouvernement espagnol en 2017, aujourd’hui emprisonné] et Bosch [ministre des affaires étrangères catalan] dévoilent la composition et le mode d’emploi de la désinformation. Les mécanismes ne sont pas ceux du bon vieux mensonge, ils sont plus subtils. En recourant à l’omission de données et de faits, à la reconceptualisation de termes ayant une forte charge émotionnelle et politique et à l’utilisation d’ellipses dans un récit que l’on dépouille de ses éléments malencontreux, il est possible de déformer la réalité. Ce qui semble être un récit héroïque, un conte à la David contre Goliath, n’est rien d’autre qu’un nouvel épisode de la crise de la rationalité qui agite les eaux de la politique européenne. Celle-ci même dont s’abreuve le national-populisme rampant. L’objectif est de créer une réalité parallèle dans laquelle le « peuple » catalan veut l’indépendance même si, scrutin après scrutin, l’indépendantisme n’a jamais dépassé 48 % des voix. Beaucoup, mais même pas la majorité. Un chiffre que l’on omet aussi, opportunément, dans le manifeste des 41 sénateurs français.

Un procès avec toutes les garanties voulues

Les indépendantistes parlent du droit à l’autodétermination, mais celui-ci n’existe ni dans le droit international, si ce n’est pour les situations de décolonisation, ni dans la Constitution espagnole, ni dans celles de la France, de l’Allemagne, de l’Italie… Ils tentent de manipuler l’opinion publique en réclamant la présence d’observateurs internationaux durant le procès, sans mentionner que celui-ci est retransmis en streaming dans le monde entier.

Leur disposition à l’ellipse les conduit à omettre que les douze personnes [douze dirigeants indépendantistes] qui comparaissent devant le Tribunal suprême avec toutes les garanties procédurales voulues, ont approuvé le 6 et le 7 septembre 2017 les lois dites de « déconnexion », qui impliquaient la suspension de facto de la Constitution espagnole [et permettaient la tenue d’un référendum sur l’indépendance, le 1er octobre 2017]. Ils l’ont fait malgré les avertissements successifs de la Cour constitutionnelle et l’absence du bloc de l’opposition lors du vote au Parlement de Catalogne. Ils se qualifient eux-mêmes de prisonniers politiques, mais Amnesty International et Human Rights Watch certifient qu’il n’y a pas de prisonniers d’opinion en Espagne.

Leur manipulation est une offense, car, dans notre pays, pendant les quarante années de dictature, il y avait des exilés et des prisonniers politiques. L’un d’entre eux, mon grand-père, professeur de la République, a passé sept ans en prison sans savoir de quel crime il était accusé, sans avoir été traduit devant un juge et sans avoir accès à un avocat. Il était, lui, un vrai prisonnier politique. Les Français savent bien ce que c’est que l’exil. C’est précisément cette année que l’Espagne célèbre le 80e anniversaire de l’exil républicain. J’étais moi-même à Annecy le 31 mars, pour rendre hommage aux exilés espagnols qui ont rejoint la Résistance et ont participé à la libération de la France de l’oppression nazie.

Charlatanerie irresponsable

Les Espagnols ont mis en place ces quarante dernières années une démocratie solide et un Etat de droit. Selon l’indice de The Economist, la démocratie espagnole figure parmi les 20 meilleures du monde par son intégrité et la qualité de ses institutions. Notre pays jouit d’une liberté maximale en matière de droits politiques et sociaux, selon l’ONG Freedom House. En fait, des centaines de milliers de personnes défendent l’idéologie nationaliste en Espagne : ils veulent ériger de nouvelles frontières entre Européens, contrairement à ce que pense la majorité proeuropéenne du pays. Et cette idéologie peut être défendue devant la tribune du Parlement et dans les médias publics et privés. Elle a été d’ailleurs défendue librement lors d’une manifestation le 16 mars, à Madrid.

Ils veulent nous faire croire qu’ils sont jugés pour leurs idées et pour avoir voté et ils s’efforcent de composer une épopée en invoquant les droits humains, dans un exercice de charlatanerie irresponsable dont la finalité n’est autre que de dévier l’attention du tort infligé à la société catalane. Tout au long du processus ayant conduit à la déclaration unilatérale d’indépendance, la Constitution espagnole, le statut d’autonomie de la Catalogne et le règlement du Parlement catalan ont été violés. Il s’agit là de « la vraie attaque aux droits et aux libertés démocratiques » à laquelle les 41 sénateurs français auraient dû faire référence dans leur pétition adressée au gouvernement de leur pays et à l’Union européenne pour qu’ils interviennent dans ce qu’ils considèrent comme un « conflit politique ».

Les leaders indépendantistes catalans ont été accusés des délits de rébellion et de sédition et également – bien que Junqueras et Bosch l’aient omis dans leur tribune – d’avoir détourné les deniers publics, c’est-à-dire, les deniers de tous les Catalans, pour organiser un référendum illégal qui prétendait faire de la moitié d’entre eux des étrangers. Comment concilier cela avec l’idéal démocratique européen d’une citoyenneté commune au-delà de ses différences ? Au fil des sondages, les Espagnols ont clairement exprimé qu’ils se sentent profondément européens et ne veulent plus de frontières en Europe.

Un préjudice au vivre-ensemble

Le modèle de société ouverte et démocratique que représente l’UE passe par l’accès des citoyens à des informations vraies qui leur permettent de se forger une opinion. La désinformation nuit à un tel point au débat public et politique que les processus démocratiques se trouvent menacés et les institutions discréditées. 83 % des Européens pensent que les nouvelles mensongères sont une menace pour la démocratie et 73 % des utilisateurs d’Internet sont concernés par la désinformation, surtout en période électorale.

Ce qui s’est passé en Catalogne montre que les actions de désinformation, telles que celles menées par le gouvernement régional catalan, qui contrôle les médias publics locaux, finissent par faire émerger deux réalités parallèles. A l’heure actuelle, la société catalane est divisée, non seulement parce qu’elle n’est pas d’accord sur les politiques, mais parce que la désinformation a détruit le consensus sur le réel. C’est là le plus grand préjudice que causent les contre-vérités : elles font voler en éclats la confiance, les consensus de base, et partant, le vivre-ensemble. C’est pour cela que nous sommes déterminés à combattre la désinformation : notre démocratie est en jeu, comme l’est aussi un élément tout aussi important comme la vérité.

Au cours des quarante dernières années, l’Espagne a construit une démocratie de qualité, avec ses problèmes politiques – qui n’en a pas ? – et ses aspects susceptibles, peut-être, d’être améliorés, mais toutefois une démocratie dans laquelle la séparation des pouvoirs prévaut ainsi que l’Etat social et démocratique de droit. Toute position politique ou intellectuelle qui ne part pas de ce fait ne renvoie pas à la réalité espagnole actuelle, mais à un fantasme ou à une invention.

Irène Lozano est secrétaire d’Etat chargé d’España Global. Rattaché au ministère des affaires étrangères, le secrétariat d’Etat à l’Espagne globale est reponsable de la promotion de l’image de l’Espagne à travers le monde. Il est chargé de planifier et de coordonner les actions extérieures de l’Espagne dans le domaine économique, culturel, social, scientifique et technologique.

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