La domination de Pékin au Tibet est intenable

Il y a trois ans, de Lhassa à Litang, les Tibétains se soulevaient contre la domination chinoise au Tibet. Nous n'encourageons pas les manifestations, mais il est de notre devoir sacré d'apporter notre soutien et d'être la voix de nos courageux compatriotes privés de parole.

En 1950, lorsque l'armée chinoise est entrée au Tibet, les Chinois ont promis le "paradis socialiste" aux Tibétains. Après plus de soixante ans de domination chinoise, le Tibet n'a rien d'un paradis socialiste. Ce n'est pas le socialisme qui y règne, mais le colonialisme ; au lieu d'un paradis, on n'y trouve que tragédie. Le gouvernement chinois devrait s'en rendre compte.

Certains Tibétains qui avaient travaillé à l'ouverture de routes entre le Tibet et la Chine ont été rémunérés en pièces d'argent par des soldats chinois polis et respectueux. Pourtant, une fois les routes achevées au début des années 1950, les tanks ont encerclé les zones urbaines stratégiques, des camions ont foncé vers les montagnes riches en minerai, et ensuite sont arrivés des ouvriers chinois qui ont exploité et extrait des milliards de dollars d'or, de cuivre et d'uranium.

Du jour au lendemain, semblait-il, quelque chose avait changé. Polis jusque-là, les Chinois sont devenus autoritaires, agressifs et violents. Ils ont fait usage de leurs armes. Des combats ont éclaté. Ce fut une période de mort et de destruction.

La répression politique, l'assimilation culturelle, la marginalisation économique et la destruction environnementale qui se poursuivent dans le Tibet occupé sont inacceptables. La nouvelle voie ferrée de Pékin à Lhassa déverse toujours plus de matériel lourd servant à exploiter nos ressources naturelles, ainsi qu'un nombre croissant d'immigrants chinois qui commencent à dominer démographiquement le Tibet, à diluer notre identité et notre riche culture.

Aujourd'hui, près de 70 % des entreprises privées sont détenues ou gérées par des Chinois, plus de la moitié des fonctionnaires, cadres du Parti communiste et responsables officiels sont chinois, tandis qu'environ 40 % des Tibétains diplômés de l'enseignement secondaire ou supérieur sont au chômage. Et cette situation est encore aggravée par les responsables chinois, qui traitent le Tibet comme s'il faisait partie de leur patrimoine personnel et se comportent comme des seigneurs féodaux. Les Tibétains sont en train de devenir des citoyens de seconde zone dans leur propre patrie.

Plusieurs dirigeants chinois sont venus récemment à Lhassa pour constater les résultats de ce qu'ils considèrent comme soixante années de "libération pacifique". En réalité, cet anniversaire a été commémoré dans une ambiance de loi martiale non déclarée, avec des troupes armées de fusils d'assaut arpentant les rues de Lhassa, des tireurs d'élite postés sur les toits, et les frontières ont été fermées aux touristes. La domination de Pékin au Tibet est de toute évidence injuste et intenable. En dépit de la tragédie en cours au Tibet, nous tenons à ce que le monde, et en particulier la Chine, sache que nous sommes toujours attachés à la non-violence. Guidés par la sagesse de nos ancêtres, nous poursuivrons la politique de la "voie médiane", qui réclame pour le Tibet une authentique autonomie au sein de la République populaire de Chine, ce qui constitue une proposition gagnant-gagnant tant pour les Tibétains que pour les Chinois. Nous croyons à une résolution pacifique du problème grâce au dialogue.

La Chine aspire à devenir une superpuissance. Elle possède une économie à forte croissance appuyée sur une puissance militaire grandissante mais, malheureusement, sa puissance morale reste à la traîne. La puissance morale ne peut s'acheter sur le marché ni être imposée par la force militaire. Elle doit se mériter.

Tant que les Tibétains subiront la répression, il y aura une résistance et peu de respect envers la Chine. Trouver une solution durable à la question tibétaine constituerait un grand pas vers la restauration d'une image positive de la Chine dans le coeur et l'esprit des hommes du monde entier, et contribuerait à la préservation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale.

Les années qui viennent seront décisives. Soit nous réussirons dans notre quête d'une plus grande liberté, soit nous échouerons et sombrerons dans l'oubli. Un dialogue pacifique pourrait déboucher sur une solution qui satisferait à la fois les intérêts tibétains et chinois. Ce serait une victoire non seulement pour les Tibétains, mais aussi pour tous les peuples marginalisés du monde.

Une résolution juste et rapide du problème tibétain serait dans l'intérêt de toute l'Asie. Pendant des milliers d'années, le peuple tibétain a été le gardien responsable de l'environnement du plus haut et plus vaste plateau de la planète, où prennent naissance dix fleuves et rivières majeurs contribuant à faire vivre plus de deux milliards d'êtres humains. La construction par les Chinois de barrages sur les cours d'eau prenant leur source au Tibet va dégrader les conditions de vie de millions de personnes vivant dans les régions asiatiques situées en aval.

C'est pour cette raison que des millions d'Asiatiques ont intérêt à ce que l'on restitue au peuple tibétain son rôle traditionnel de gardien responsable de l'environnement du plateau tibétain. Cette question transcende le débat politique. Elle concerne le bien-être et la prospérité de l'Asie.

Lobsang Sangay, premier ministre de l'administration tibétaine en Inde. Traduit de l'anglais par Gilles Berton.

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