La facture du Brexit doit être soumise à un arbitrage international

Les négociations sur le Brexit ont mal commencé. Au lieu de se concentrer sur ce qui est vraiment important – le sort des citoyens et des entreprises –, les institutions européennes et le gouvernement britannique s’affrontent sur des questions de moindre intérêt.

Environ trois millions de citoyens de l’Union européenne (UE) vivent au Royaume-Uni et un million de citoyens britanniques dans l’UE. Tous attendent avec anxiété de connaître leur statut et leurs droits après le Brexit. Des milliers d’entreprises produisent au Royaume-Uni et commercent avec le reste de l’UE, et vice-versa. Elles sont tout autant impatientes de savoir quel type d’accord sur le commerce et l’investissement sera décidé.

Le montant de la facture du Brexit importe bien moins, mais elle est devenue une source de tension majeure entre les deux camps. Bien sûr, l’UE et Londres devront aboutir, avant la sortie du Royaume-Uni, à un accord financier sur les actifs et passifs liés à l’appartenance du pays à l’UE. Mais cet accord sera difficile à obtenir.

Une des raisons de cette difficulté tient au fait que les estimations du montant en jeu varient du simple au double selon les hypothèses sous-jacentes. Les calculs de mon collègue économiste Zsolt Darvas suggèrent que le montant brut dont Londres devra s’acquitter à sa sortie de l’UE se situe dans une fourchette allant de 54 à 109 milliards d’euros. Le montant net de la facture, tenant compte des montants dus au Royaume-Uni eu égard à sa quote-part des dépenses du budget européen et du remboursement de prêts de l’UE, s’inscrirait, lui, dans une fourchette de 25 à 65 milliards d’euros.

La difficulté de trouver un accord financier entre les deux parties n’a rien de surprenant. Toute procédure de divorce impliquant des sommes importantes est compliquée pour la simple raison qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle : si une des parties obtient davantage, l’autre obtiendra moins. C’est pourquoi de telles procédures terminent généralement devant un juge ou un arbitre !

Le temps, contrainte majeure

Demander à un juge ou à un arbitre de décider du montant de la facture du Brexit libérerait justement les négociateurs d’un problème épineux et leur permettrait de concentrer leur capital politique sur ce qui importe véritablement aux citoyens et aux entreprises : la future relation entre l’UE et le Royaume-Uni.

En outre, le temps est une contrainte majeure, puisque la procédure du Brexit devra être terminée au printemps 2019, en vertu de l’article 50 du traité européen. Et, comme Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour la Commission européenne, l’a souligné à plusieurs reprises, ce timing implique que les négociations devront être conclues au plus tard à l’automne 2018, afin de pouvoir ratifier l’accord dans les temps.

Qui devrait être choisi comme juge ou arbitre dans cette affaire ? Vu de Bruxelles, le choix évident serait la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), sise à Luxembourg. Mais ce choix serait rejeté par Londres, qui estime que la CJUE est partiale. Un autre choix pourrait être alors celui de la Cour internationale de justice (CIJ), installée à La Haye. La CIJ est le principal organe judiciaire des Nations unies ; son rôle est de régler, en accord avec le droit international, les litiges que les Etats lui soumettent.

Procédure d’arbitrage

Mais le meilleur choix serait probablement la Cour permanente d’arbitrage (CPA), elle aussi localisée à La Haye, mais indépendante de la CIJ. La CPA a été créée en 1899 pour faciliter les arbitrages internationaux et autres formes de résolution de litiges entre Etats. Ce n’est pas une cour dans le sens traditionnel du terme, mais une structure permanente pour les tribunaux arbitraux, mise en place afin de résoudre les litiges spécifiques. Actuellement, 121 Etats, dont les 27 pays membres de l’UE et le Royaume-Uni, sont membres de la CPA.

Généralement, une procédure d’arbitrage implique trois ou cinq arbitres. Dans le cas de trois arbitres, chacune des parties désigne un arbitre. Dans le cas de cinq arbitres, chaque partie désigne deux arbitres. Les arbitres nommés choisissent ensuite le dernier arbitre qui présidera le tribunal arbitral.

La CPA n’est pas étrangère au règlement de litiges entre Etats membres de l’UE. Trois cas récents incluent un litige entre l’Irlande et le Royaume-Uni sur le retraitement de combustibles nucléaires, un litige entre la Belgique et les Pays-Bas sur les droits de transit ferroviaire, et un litige entre le Danemark (agissant au nom des îles Féroé) et l’UE concernant la pêche.

Gagnant-gagnant

Bien sûr, on peut argumenter que la CPA, contrairement à la CJUE, n’a pas d’expérience en matière de litiges concernant les traités de l’UE. Mais cette virginité devrait être vue comme un atout de la CPA pour décider de manière neutre du montant de la facture du Brexit.

On peut toutefois se poser la question légitime de savoir pourquoi les deux parties seraient prêtes à céder leurs prérogatives politiques pour aboutir à un accord et s’en remettre à une procédure d’arbitrage. Une réponse logique est que l’arbitrage leur épargnerait beaucoup d’acrimonie réciproque, qui risque de s’amplifier au fur et à mesure que le temps passe et que la date butoir se rapproche.

L’Union européenne et le Royaume-Uni devraient avoir la sagesse de reconnaître qu’il leur faut recourir à un arbitre, et ce le plus vite possible. Cela leur permettrait de concentrer leurs efforts sur la recherche d’une solution politique pour leur future relation et de libérer au plus vite tant les citoyens que les entreprises, des deux côtés de la Manche, de l’incertitude qui plane sur leurs droits et devoirs après le Brexit. Ce serait une situation gagnant-gagnant pour les deux camps, comparée à l’alternative qui se profile actuellement d’une absence d’accord sur le Brexit.

Par André Sapir, Chercheur à l’Institut Bruegel et professeur à l’Université libre de Bruxelles.

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