La fin d'ETA est une conséquence lointaine du 11-Septembre

L'annonce par ETA de "la fin définitive de son action armée", accueillie comme un événement historique en Espagne, n'a fait guère de bruit en France. Elle fut éclipsée par la mort de Kadhafi survenue le même jour et par les désaccords persistants entre la France et l'Allemagne au sujet du règlement de la dette européenne. Pourtant, depuis sa création, l'ETA a causé la mort de 11 personnes sur le territoire français. C'est à peine un mort de moins que la vague d'attentats islamistes qui frappa la France entre 1995 et 1996.

Ce silence contraste avec l'émotion suscitée, en mars, par la mort d'un gendarme français lors d'une fusillade avec des etarras à Dammarie-les-Lys, dont les funérailles se firent en présence de MM. Sarkozy et Zapatero. Il tranche aussi singulièrement avec l'attention que les Français ont portée aux commémorations du dixième anniversaire des attentats du 11-Septembre, et à l'annonce de la mort de Ben Laden au mois de mai. Or la fin d'ETA est probablement l'une des plus importantes conséquences du 11-Septembre en Europe.

Il faut se souvenir qu'en 2005, déjà, l'IRA provisoire, la principale organisation terroriste nord-irlandaise, responsable de la mort de plus de 1 800 personnes entre 1969 et 2001, avait définitivement rendu les armes. C'était deux semaines tout juste après les attentats perpétrés à Londres par des terroristes islamistes le 7 juillet. Il n'y a pas de coïncidence. En Espagne, l'ETA avait annoncé un premier cessez-le-feu en mars 2006 : deux ans exactement après les attentats du 11 mars 2004 à Madrid, le "11-Septembre" espagnol et européen. Deux années durant lesquelles ETA ne commit pas le moindre attentat. Ce cessez-le-feu fut interrompu au bout de quelques mois, et depuis lors, l'ETA aura tué 12 personnes, contre 15 dans la seule année 2001 (et 23 en 2000).

Quelque chose, donc, dans le terrorisme séparatiste européen a irrémédiablement changé avec les attentats du 11 septembre 2001. Il est un fait connu et reconnu que le 11-Septembre a contribué à renforcer l'arsenal juridique et policier, ainsi que la coopération internationale, au service de la lutte antiterroriste. Cela a indéniablement gêné l'activité de l'IRA et de l'ETA ces dernières années. Mais cette évolution avait été amorcée avant le 11-Septembre : le Terrorism Act britannique date de 2000, la coopération européenne dans la traque des etarras s'est intensifiée dès le "protocole Aznar" en 1996.

La rupture plus profonde introduite par le 11-Septembre tient à la nature même de la définition du "terrorisme". La "guerre au terrorisme" lancée par les Etats-Unis après le 11-Septembre a permis aux entrepreneurs de la lutte contre ETA, qui jusqu'alors peinaient à mobiliser en-dehors de l'Espagne, de faire monter en généralité leur cause, via une dépolitisation de la question terroriste : Al-Qaida et ETA, même combat ! C'est ainsi que, dès février 2002, les Etats-Unis ajoutèrent ETA à la liste des organisations terroristes qu'ils entendaient combattre.

Les instances européennes furent l'un des principaux théâtres de cet amalgame entre le terrorisme international et le terrorisme séparatiste. Exemple parmi tant d'autres : la député espagnole Oreja Arburúa déclarait le 11 février 2004 devant le Parlement européen qu'"aujourd'hui, nous ne pouvons plus dire que le terrorisme est un problème local. C'est une menace globale pour nous tous et l'Union européenne elle aussi". Cet amalgame entre "toutes les formes" de terrorisme ne se donne jamais autant à voir que dans les Congrès internationaux des victimes du terrorisme, dont la dernière édition s'est tenue à Paris en septembre, et la première avait eu lieu à Madrid quelques mois avant les attentats du 11 mars 2004. Mobiliser les "victimes du terrorisme" de manière indistincte n'était pas si évident avant le 11-Septembre.

Enfin et surtout, le 11-Septembre a du jour au lendemain, par son ampleur, rendu obsolètes les attentats perpétrés dans les années 1980 et 1990 par les organisations séparatistes sévissant en Europe. Le pire attentat d'ETA, le 19 juin 1987, dans un centre commercial de Barcelone, ne fit jamais "que" 21 morts. L'attentat d'Omagh, le 15 août 1988, perçu à l'époque comme "la pire atrocité terroriste" qu'ait connue l'Irlande du Nord, causa le décès de 29 personnes. On est loin des plus de 2 900 morts du 11-Septembre. Et en deçà également des bilans humains des attentats islamistes de Madrid et Londres.

Jamais l'ETA ou l'IRA n'auraient pu suivre Al-Qaida dans cette surenchère morbide. Indépendamment de la question des moyens logistiques nécessaires pour réaliser de telles tueries, cela aurait impliqué, pour elles, de s'aliéner définitivement leurs bases populaires. C'est pourquoi l'IRA provisoire condamna explicitement les attentats du 11-Septembre, et l'ETA s'empressa, en 2004, de démentir toute implication dans les attentats du 11 mars.

La fin d'ETA, tout comme celle de l'IRA, est donc une conséquence lointaine du 11-Septembre, qui a fait entrer le terrorisme dans une autre ère. Fin 2001, les Européens s'efforçaient d'occulter l'effroi du 11-Septembre en s'enthousiasmant pour le passage à l'euro. Dix ans plus tard, l'inquiétude que suscite une zone euro au bord de l'implosion nous cache la bonne nouvelle : grâce au 11-Septembre, les conflits séparatistes qui ont ensanglanté les nations européennes pendant plusieurs décennies sont en passe de s'éteindre pour de bon.

Par Gérôme Truc, sociologue.

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