La « finance verte » est une illusion

Depuis quelques années, les financiers veulent croire que le choix d’une exposition des portefeuilles à des titres à faible empreinte carbone serait à terme profitable. La seule logique du profit, de la meilleure rentabilité ajustée du risque des titres verts, devrait donc inciter les investisseurs institutionnels à réorienter naturellement leurs investissements vers les entreprises les plus vertueuses en matière d’empreinte carbone.

En délaissant les moins bons élèves de la classe verte, ces investisseurs feraient pression sur le management des « mauvaises » entreprises pour qu’elles changent leur processus de production ou réorientent leurs activités afin d’être à nouveau attirantes pour les marchés financiers.

Malheureusement, une analyse un peu sérieuse du fonctionnement des marchés financiers et de la formation des prix des actifs financiers laisse penser que cette évolution naturelle des marchés financiers vers un monde plus vert n’est pas du tout certaine !

Sur le long terme, la théorie du prix des actifs financiers montre ainsi que les titres des sociétés les plus vertueuses en matière d’empreinte carbone ne seront pas les plus rentables, notamment parce que, du fait de leur qualité environnementale, ils seront moins risqués, puisque moins sensibles à une forte hausse du coût des émissions des gaz à effet de serre. En effet, les investisseurs rationnels seront prêts à payer plus cher ces sociétés moins risquées, et ce renchérissement rendra donc le rapport rendement/prix de leurs titres moins attrayant.

Résultats assez peu prometteurs

Sur le court terme, on peut constater des résultats assez peu prometteurs de la finance verte. Les indices thématiques construits autour des problématiques et de l’économie de la transition énergétique ont largement sous-performé les indices traditionnels. Par ailleurs, les indices généralistes à plus faible empreinte carbone, qui excluent ou sous-pondèrent les entreprises le plus exposées aux énergies fossiles, sont soumis à un double effet de la baisse du prix du pétrole. Ce dernier est d’une part positif, puisqu’il défavorise les entreprises détentrices de réserves d’énergies fossiles ou extractrices de celles-ci, mais d’autre part négatif, puisqu’il favorise les grands consommateurs de ces mêmes énergies.

Ce double effet de prix peut, dans certains cas de figure, se révéler rentable, notamment lorsque les exclusions ciblent principalement les détenteurs de droits ou de stocks d’énergies fossiles. Mais il est assez paradoxal que l’excès de performance d’indices supposés pénaliser l’émission de gaz à effet de serre vienne précisément d’une baisse du coût d’une des principales sources d’émissions de celui-ci !

Face à ces constats de court terme, on peut certes arguer que les marchés financiers n’intègrent pas encore les conséquences du réchauffement climatique et du nécessaire renforcement de la régulation de l’émission de CO2 dans le prix des titres des sociétés. Dans cette perspective, un choix de titres vertueux en matière d’émission de gaz à effet de serre constitue une option ou une protection sur les conséquences économiques de l’application de ces futures régulations. La stratégie d’investissement dans des indices ou fonds à faible empreinte carbone consiste alors, à court terme, à minimiser le coût de cette option ou cette protection et d’attendre qu’elle révèle sa valeur sur le long terme.

Mais le succès de cette approche suppose que les acteurs du secteur financier soient capables d’identifier dès à présent les entreprises dont la qualité environnementale n’est pas encore prise en compte dans le prix de leurs titres ; en d’autres termes que l’industrie financière soit plus efficiente que les marchés. Les études académiques qui démontrent l’incapacité des gérants d’actifs à battre durablement les marchés financiers en choisissant les meilleurs titres ne plaident pas en ce sens.

Plus rentables parce que mieux construits

Plus anecdotiquement, on peut rappeler que le principal fournisseur mondial d’indices, l’américain MSCI, avait, en août, amélioré la note environnementale de l’entreprise Volkswagen au titre de la reconnaissance de ses efforts pour réduire les émissions de carbone de ses automobiles, tandis que son concurrent Dow Jones avait choisi le constructeur allemand comme leader environnemental de son secteur…

Ces constats nous amènent à considérer que si l’on voulait véritablement que la finance contribue à sauver la planète, il faudrait l’y inciter et ne pas uniquement compter sur une éventuelle rentabilité ou prime verte pour justifier d’une réorientation naturelle et massive des investissements vers la finance durable.

Les recherches entreprises par l’Edhec montrent qu’il est tout à fait possible de réduire l’empreinte carbone d’un portefeuille tout en lui assurant une meilleure rentabilité. Il faut pour cela, d’une part, exclure a priori les titres des sociétés ayant les plus fortes empreintes carbone, et, d’autre part, utiliser des techniques traditionnelles de construction de portefeuilles qui ne se préoccupent pas de la rentabilité future des titres verts, mais qui sont fondées sur la bonne exposition à des facteurs de risque.

Les indices verts proposés par l’Edhec aux investisseurs institutionnels sont plus rentables que le marché non pas parce qu’ils sont verts, mais parce qu’ils sont mieux construits que les indices traditionnels. Plutôt que de dénoncer une logique de profit à court terme qui s’opposerait à la croissance durable de long terme, la solution vise à proposer plus de rentabilité à court terme pour construire cette croissance durable.

Noël Amenc (Président de ERI Scientific Beta et de EDHEC Risk Institute)

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