La foi européenne allemande est ébranlée

Depuis la création de l’Union monétaires européenne, le scepticisme vis-à-vis de l’euro, assorti d’un attachement au Mark allemand, a toujours existé dans une partie de l’opinion publique allemande. Ce courant s’est renforcé avec la crise de la zone euro en 2010 et avec les politiques engagées pour la surmonter.

Pourtant, cet euroscepticisme, nourri essentiellement par le sentiment que les contribuables allemands devaient payer pour les erreurs, le laxisme et le non-respect des règles européennes des pays du sud, n’avait pas vraiment trouvé une expression politique. Certes, à plusieurs reprises, un certain nombre de députés de la coalition gouvernementale a refusé de voter les plans de sauvetage puis les mécanismes de stabilisation financière négociés par la Chancelière Merkel. Mais à la fin, la foi européenne, qui fait partie de la raison d’Etat de l’Allemagne depuis la création de la RFA en 1949, assortie par la déclaration qu’il n’y avait pas d’alternative, a toujours fini par avoir raison des eurosceptiques.

Or, le lancement du petit parti Alternative für Deutschland (AFD) en avril 2013, proposant une «Alternative pour l’Allemagne», a changé la donne.

Il est encore trop tôt pour savoir si ce mouvement peut réussir son pari d’entrer au Bundestag lors des élections en septembre prochain. Actuellement crédité de 3 à 4 % par les sondages, il n’est pas assuré de franchir la barre des 5% qui lui assurerait d’être représenté au Parlement. En outre, dans l’histoire d’après-guerre, on a vu bien d’autres partis de protestation (populistes ou extrémistes) surgir, parfois même entrer aux Parlements régionaux, avant de disparaître assez piteusement quelques années plus tard. Ainsi, le parti des «Pirates», qui en 2011-12 avait réussi de capter jusqu’à 9 % des voix lors des élections régionales, est-il en voie de marginalisation actuellement. Enfin, lorsqu’il s’agit des élections nationales, les citoyens allemands ont toujours fini par voter «sérieux».

Pourtant, l’affaire est moins claire qu’il ne semble. Le mouvement AFD, porté par un seul thème (sortir de l’Euro, retour aux monnaies nationales) semble réussir à capter une partie des eurosceptiques comme des frustrés de la politique «officielle». Même sil ne dépassait pas la barre des 5%, il risque d’affaiblir les partis de la coalition d’Angela Merkel. Car malgré un avantage confortable de la CDU-CSU de la Chancelière dans les sondages (à elle seule, elle est aussi forte que SPD et Verts réunis), l’issue de l’échéance électorale de septembre est plus serrée qu’on ne le croit. Selon la constellation parlementaire (surtout, selon la présence ou absence des petits partis comme l’allié libéral FDP de la Chancelière), la majorité de gouvernement peut changer. C’est pourquoi l’AFD préoccupe tous les autres partis, y compris à gauche, car les premières analyses montrent que le nouveau mouvement ratisse large, y compris dans les rangs du SPD.

Il y a plus: si l’on a raison de taxer les propositions de l’AFD comme populistes, ce parti n’a rien d’extrémiste. Il met soin à se garder des tentatives de récupération venant de l’extrême-droite. Ses fondateurs sont souvent des professeurs d’économie renommés, dont les analyses économiques sont sérieuses même si les conclusions politiques sont naïves, voire dangereuses. Ses supporteurs se rangent plutôt dans la bonne bourgeoisie modérée. En tout cas, le parti a vu le nombre de ses adhérents monter à 10000 en quelques semaines, dont un quart environ viennent d’autres partis, notamment de la CDU et du FDP, mais aussi du SPD. La diabolisation de l’AFD, entrepris par les partis «établis», risque donc de tomber à plat.

Au-delà des calculs électoraux, le défi le plus important lancé à la classe politique se situe ailleurs. Point n’est nécessaire de sympathiser avec l’AFD pour admettre qu’il force les autres partis, au gouvernement comme dans l’opposition, d’adapter, surtout de préciser leurs discours européens. Sanctuariser l’euro («l’échec de l’Euro, c’est l’échec de l’Europe», Angela Merkel dixit) sans effort d’explication des enjeux et des solutions possibles, déclarer qu’«il n’y a pas d’alternative» à la politique de sauvetage actuelle sans en expliquer les raisons, les coûts et les avantages: ce genre de discours facile risque de se heurter aux citoyens qui exigent des explications et des comptes. Les temps sont révolus quand les choix européens des gouvernements furent plébiscités en bloc. Aujourd’hui, les décisions à Bruxelles comportent des choix politiques, voire de société, et engagent souvent l’argent des contribuables. C’est pourquoi le projet européen, avec tous ses effets bénéfiques sur nos peuples, mérite et exige mieux que des formules creuses. C’est en poussant les responsables politiques de tous bords dans cette voie que l’émergence de l’AFD pourrait rendre un service à la cause européenne en Allemagne.

Par le politiologue allemand Henrik Uterwedde.

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