La France au Sahel: il est temps de partir!

Les forces françaises de l'opération Barkhane au nord du Burkina Faso, en novembre 2019. Photo Michele Cattani. AFP
Les forces françaises de l'opération Barkhane au nord du Burkina Faso, en novembre 2019. Photo Michele Cattani. AFP

Huit ans après ses débuts au Mali en janvier 2013, l’intervention militaire de la France au Sahel s’est ensablée dans une guerre dont on ne voit pas la fin et qui rappelle l’enlisement des Soviétiques puis des Américains en Afghanistan. Le problème ne tient pas qu’aux défis de la lutte contre le terrorisme dans des territoires immenses, mais aussi à l’entêtement de dirigeants qui ne veulent pas perdre la face et qui refusent d’admettre publiquement leurs erreurs d’analyse.

L’Elysée n’a jamais annoncé clairement quel était «l’état final recherché», comme disent les militaires. Officiellement, les soldats de l’opération Barkhane n’ont pas pour objectif de rétablir l’ordre au Sahel. Une telle mission les obligerait en effet à se substituer à des armées défaillantes et à assumer des fonctions de police en vue de lutter contre le banditisme et de réguler les conflits d’accès à la terre. En pareil cas, la France se retrouverait alors à administrer directement ses anciennes colonies pour occuper le terrain dans des zones rurales où les Etats sahéliens sont absents, en l’occurrence avec des soldats jouant tout à la fois un rôle de pacificateurs, d’instituteurs, de défricheurs et d’agriculteurs.

De cela, l’Elysée ne veut pas entendre parler. Le but de l’opération Barkhane, répète-t-on inlassablement, est uniquement de lutter contre les «GAT» (groupes armés terroristes), un de ces nombreux acronymes qu’affectionnent les militaires. Dans les cinq pays francophones où l’armée française a été déployée, il s’agit de poursuivre une guerre d’attrition… et de prévention contre des jihadistes qui n’ont jamais commis d’attentats outre-mer mais qui pourraient bien le faire un jour, ne serait-ce que pour se venger. A priori, l’objectif est donc assez clair : éliminer les terroristes, épuiser leurs ressources, atteindre leur capacité de frappe et réduire leur influence sur la population de manière à créer des alternatives politiques et économiques aux projets de société des fanatiques de la charia.

Une scène insurrectionnelle fragmentée

Le problème est qu’aucune administration sahélienne ne semble prête à prendre le relais dans les zones que les jihadistes s’empressent inlassablement de réoccuper aussitôt les soldats français repartis dans leurs bases. En pratique, la question est aussi de savoir s’il est envisageable d’isoler les GAT et de les combattre jusqu’à la victoire sans traiter les autres facteurs de conflits qui alimentent les insurrections de type jihadiste. Un tel objectif paraît tout à fait irréalisable au vu de la complexité des terrains sahéliens où s’accumulent les strates de violences.

En effet, la scène insurrectionnelle dans la zone est très fragmentée. Elle se caractérise par une prolifération d’acteurs qui ne sont pas forcément jihadistes et qui voient fréquemment des combattants changer d’allégeance et passer d’un groupe à l’autre. La multiplication des protagonistes de la belligérance n’aide assurément pas à identifier les mouvances qui disent se battre au nom du Coran et à qui on impute la responsabilité de violences qui, en réalité, sont aussi commises par des milices communautaires, des mouvements séparatistes, des unités d’autodéfense, des auxiliaires de sécurité, des trafiquants de tous acabits et des voleurs de bétail. Souvent formées et équipées par la France, les troupes des alliés de Paris au Sahel se sont elles-mêmes rendues responsables de crimes de guerre et de violations massives des droits de l’homme. Au vu du précédent rwandais, on imagine donc mal les soldats de Barkhane se préoccuper seulement des GAT en ignorant les massacres de civils qui se dérouleraient à proximité de leurs zones d’intervention.

A l’analyse, il s’avère que la focalisation de l’Elysée sur la menace terroriste est une erreur stratégique et une mission impossible tout à la fois. En effet, le jihadisme n’est jamais que le symptôme de la crise des Etats au Sahel. Dans un opuscule publié en 1900, le maréchal Hubert Lyautey avait d’ailleurs proposé une analyse assez lucide de la situation. «On n’arrive rarement, sinon jamais, à la destruction par la force d’une bande pirate, écrivait-il. Le résultat, toujours partiel, ne s’obtient qu’au prix de fatigues, de pertes, de dépenses, qui ne sont certes pas compensées par le succès […]. L’action politique est de beaucoup la plus importante.»

Mais évidemment, Lyautey était un colonisateur. Affranchi des contraintes quinquennales des mandats présidentiels, il avait le temps pour lui et était prêt à s’engager dans des œuvres de longue haleine. De plus, il ne se souciait guère de respecter d’éventuelles souverainetés nationales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui au Sahel. Le piège n’en est que plus évident. D’un côté, la France ne peut et ne veut pas se substituer à des gouvernements déficients, corrompus et souvent autoritaires. De l’autre, elle n’a aucune chance de mener à bien sa lutte contre les GAT si elle n’assume pas un minimum de responsabilités politiques dans la zone.

Passer le relais aux Casques bleus ?

Le défi est d’autant plus grand que le temps joue contre l’Elysée. A mesure que l’opération Barkhane jouait les prolongations, les forces de libération de 2013 ont en effet fini par être perçues comme des troupes d’occupation par un bon nombre de Sahéliens. Dit autrement, il apparaît que plus l’armée française s’embourbe dans les ornières du Sahel, plus son désengagement sera compliqué et coûteux, tant sur le plan politique que financier et logistique. L’Elysée n’a jamais voulu discuter sérieusement au Parlement des options possibles. Faut-il donc partir en donnant l’impression que les jihadistes auraient gagné une guerre d’usure ? Ou bien rester au risque de se laisser entraîner dans une guerre sale en étant impliqué dans les crimes de sang que commettent les forces de sécurité locales et leurs supplétifs sur zone ?

Dans un cas, Paris serait accusé d’abandonner les Africains à eux-mêmes ; dans l’autre, d’ingérence politique si l’Elysée s’avisait de dénoncer publiquement les abus de ses alliés au Sahel. La situation sécuritaire ne cessant de se dégrader, la différence se joue, pour beaucoup, au niveau de la responsabilité directe ou indirecte de l’ancienne puissance coloniale dans l’évolution des hostilités. A tout prendre, ne vaut-il donc pas mieux s’en aller en essayant de passer le relais aux Casques bleus et aux acteurs du développement ?

Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement. Il est l’auteur d’Une guerre perdue : la France au Sahel, Paris, JC Lattès, 2020.

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