La France doit sortir du tout militaire en Afghanistan

La situation en Afghanistan se dégrade de jour en jour. Cet engrenage était prévisible, au moins depuis l’été 2003, lorsque l’Otan a pris le commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité. La stratégie de «guerre contre le terrorisme» et son volet politique, la «démocratisation» de l’Afghanistan, préconisée par George W. Bush, ont vite montré leur incohérence et leurs limites. En avril 2007, Nicolas Sarkozy déclarait : «La France n’a pas vocation à rester en Afghanistan indéfiniment.» Et pourtant, une fois élu, il fut le seul responsable européen à avoir répondu positivement à la demande de Bush en acceptant, en avril 2008, d’envoyer non seulement 700 soldats supplémentaires en Afghanistan, mais aussi de modifier leurs missions en une mission de guerre.

Plus de 100 000 soldats étrangers se battent en Afghanistan sans réellement croire à leur victoire. Certains généraux américains demandent davantage de renforts. Toute l’impasse est là : bombarder, c’est prendre le risque de tuer des civils et de solidariser la population aux talibans. Débloquer de nouvelles troupes, c’est nous exposer. Plus de 300 000 soldats étrangers et afghans, les forces de l’ordre et même des milices tribales, n’ont pu assurer la sécurité de 7 000 bureaux de vote le jour du scrutin présidentiel du 20 août.

Les raisons sont nombreuses : une stratégie militaire inadaptée qui a laissé suffisamment de temps aux talibans pour se réorganiser, le manque de coordination entre les forces présentes sur le terrain, le peu d’intérêt porté à l’aide civile à la reconstruction et à la lutte contre le trafic de drogue.

Et que dire de cette volonté de plaquer notre modèle de démocratie dans un pays où 70 % de la population est analphabète ? Ayant comme partenaires d’anciens chefs de guerre de mauvaise réputation, nous avons voulu imposer quelques changements «démocratiques» pour légitimer la guerre aux yeux de l’opinion publique. Résultat : il y a plus de femmes à l’Assemblée nationale à Kaboul qu’à Paris, mais lorsqu’une députée ose dénoncer les crimes de guerre et les barons de la drogue, elle est menacée, insultée et exclue du Parlement afghan. Je ne dis pas que rien n’a été fait. Nos soldats font un travail remarquable, mais les changements sont peu visibles pour la majorité des Afghans. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on sait que l’aide civile ne représente qu’à peine 5 % de la dépense militaire ?

La lutte contre le terrorisme et l’aide à la construction d’un Afghanistan plus respectueux des valeurs des droits de l’homme restent légitimes. Que faire alors ? D’abord, un bilan de nos actions au cours des huit dernières années. Savoir pourquoi une intervention qui était considérée comme facile s’est transformée en une guerre longue et sanglante dans laquelle, d’après les officiers français qui y participent, une victoire à moyen terme est impossible. Une victoire uniquement militaire est désormais exclue dans ce pays. Il manque donc la perspective d’un vrai plan de paix.

Je ne préconise pas un retrait pur et simple et immédiat de nos troupes. On dit que nous ne pouvons ni gagner ni perdre cette guerre. En sommes-nous si sûrs ? Un grand pays comme le nôtre, avec une opinion publique sensible aux pertes humaines, doit se souvenir de Dien Bien Phu même si les talibans n’ont rien à voir avec le FLN vietnamien. Il est temps de définir nos objectifs d’une manière réaliste et dire la vérité aux Français. Comment peut-on dire, comme Sarkozy, que notre sécurité est toujours menacée par Al-Qaeda à partir de l’Afghanistan, alors que le secrétaire général de l’Otan affirme que ce pays n’est plus un refuge pour Al-Qaeda et que le commandant en chef des forces américaines déclare que ce groupe terroriste est défait en Afghanistan ?

Pourquoi Sarkozy a-t-il mal accueilli la «nouvelle stratégie» américaine, définie en mars par Barack Obama ? Le président américain a fait un constat lucide de la situation pour dire que les Etats-Unis n’ont pas l’intention de rester longtemps en Afghanistan, qu’aucune puissance étrangère n’a réussi à s’imposer, qu’il faut chercher une solution politique incluant le dialogue avec les talibans «modérés», que les pays voisins doivent être associés à cet effort. Certes, cette stratégie, si séduisante sur le papier, n’a pas encore trouvé le moindre début d’application sur le terrain, car l’absence d’un pouvoir fort, crédible, légitime et efficace à Kaboul est un obstacle à son application. Mais il est illusoire de s’entêter dans le tout militaire.

Jean-Christophe Cambadelis, secrétaire national aux relations internationales du PS, député de Paris.