La France face à la guerre asymétrique

Deux cent vingt-quatre Russes massacrés au-dessus du Sinaï, une quarantaine de civils libanais exécutés dans le quartier Hezbollah de Beyrouth, 130 morts et plus de 350 blessés à Paris vendredi 13 novembre, l’Etat islamique frappe ses ennemis sans pitié. Car le point commun bien sûr, entre ces trois attaques perpétrées en moins de 15 jours, c’est la guerre en Syrie et en Irak où, dans une curieuse alliance qui ne dit pas encore son nom, la France, la Russie et l’Iran (via le Hezbollah) tentent de détruire l’Etat islamique en Irak et au Levant.

Là est la première leçon des attentats de Paris : les guerres du Moyen-Orient sont devenues les nôtres. Et c’est bien d’un théâtre stratégique unique dont il s’agit désormais de Rakka à Beyrouth, en passant par Moscou et Paris. Tout le problème c’est que le cancer du salafisme qui dévore la Syrie et l’Irak depuis quatre ans, loin d’être réduit, s’installe désormais dans d’autres États arabo-musulmans faillis ou détruits : Yémen, Libye de plus en plus, demain le Sahel sans doute. Et les métastases de se répandre partout au fil des déplacements – parfaitement libres – des combattants djihadistes. Ce sont des Européens ou des enfants de l’immigration en Europe, formés, fanatisés, et aguerris en Syrie et en Irak, qui reviennent tuer en Europe. Ce sont des Tunisiens, parmi les plus nombreux en Syrie (au moins 5 000) qui s’implantent pour Daech en Libye, venant d’Istanbul, d’où ils partiront demain frapper l’Égypte, l’Algérie, l’Europe ou le Sahel.

Le problème de ce cancer est qu’il est à ce point profond en Syrie et dans l’Ouest de l’Irak, que la médecine internationale n’a trouvé à ce jour aucun traitement. Les docteurs russes et occidentaux se chamaillent encore sur le sort d’un dictateur (le Syrien El Assad), mais aucun d’entre eux, Américains, Russes ou Européens n’est prêt à aller jusqu’au bout du traitement et à s’engager dans une guerre au sol extrêmement risquée au Levant, livré à au moins 300 000 combattants. Abandonnée aux puissances régionales (Turquie, Arabie saoudite, Iran), la région est devenue la première fabrique terroriste de la planète, immense chaudron où chacun déploie sa propre stratégie. Chacune des puissances régionales a toutes les meilleures raisons de détester son voisin davantage que l’ennemi commun supposé. À Ankara, le Kurde est bien plus l’ennemi que l’Etat islamique que l’on soutient indirectement en achetant son pétrole et en laissant transiter les djihadistes venus d’Europe. À Riyad, l’ennemi, c’est l’Iran et non les salafistes sunnites que l’on ménage. Quant à l’Iran, l’Etat islamique (EI) est moins le problème que l’obsession de prendre et de conserver les gages dans un monde arabe affaibli, jadis dominé par les Sunnites : Liban, Syrie, Irak, Yémen, Bahreïn, ainsi se dessine « l’arc chiite » en marge du conflit du Levant. Faute d’un règlement, le conflit s’éternise et s’étend désormais au Yémen, comme il peut s’étendre demain en Libye si la négociation sur le dialogue national devait échouer.

Ces métastases n’ont donc pas fini de se manifester en France et dans toute l’Europe, ainsi qu’en Afrique du Nord et au Sahel.

À mesure que le niveau de violence augmentera, et les attentats de Paris montrent que pour la première fois l’on importe les techniques de terrorisme de masse employées au Proche-Orient, ce conflit-là pourra à tout moment dégénérer. Et peut-être entraîner les grandes puissances dans une escalade que nul ne souhaite. Ici, l’image de 1914, mais plus encore de la guerre de Trente ans (1618-1648), s’impose à l’esprit avec leur cortège funèbre de millions de morts.

11 attentats en 11 mois

C’est ici que devrait intervenir l’autre leçon – interne – à la France. Si la violence des attaques et le deuil imposent l’unité nationale, ils exigent aussi le courage de la lucidité sur les insuffisances et autres approximations de notre politique de sécurité nationale.

Il est d’abord totalement surréaliste, alors que l’on envoie des soldats faire la guerre au Mali, dans le Sahel, en Syrie ou en Irak, de faire mine de croire ou de faire comme si notre base arrière, c’est-à-dire notre territoire national, allait échapper comme par miracle à des représailles au moins aussi douloureuses. Cette guerre asymétrique que certains redoutaient, et que l’auteur de ces lignes annonçait depuis des mois, cette guerre a bel et bien commencé. Car si elle n’effectue jusqu’à présent que 3 % des raids aériens en Syrie, la France paie chez elle le prix fort. Sur la seule année 2015, il y a eu 11 attentats en 11 mois et 149 morts, les attaques du 7 et 9 janvier, la décapitation par l’un de ses employés d’un entrepreneur en Isère, les tentatives de Villejuif ou du Thalys avant bien sûr les attentats de ces derniers jours à Paris, sans compter les cinq attentats qui ont pu être déjoués par nos services de sécurité. On ne peut pas tous les jours avoir de la chance : le terroriste de Villejuif qui se tire une balle dans le pied ou l’assassin du Thalys contré par hasard.

Cette fois, plusieurs attaques simultanées ont pu se produire dans notre capitale, et il aura fallu près de trois heures avant que les forces de l’ordre n’investissent le Bataclan. Et que dire des tireurs de la rue de Charonne et de la rue Fontaine au Roi repartis apparemment sans encombre après avoir mitraillé 18 personnes. Il est tout aussi consternant, qu’une fois de plus, les auteurs de la boucherie du 13 novembre à Paris, aient été connus, fichés par nos services de sécurité… et laissés libres. Tout comme, avant eux les tueurs de Charlie, de l’Hyper Casher, du Musée juif de Bruxelles ou de Toulouse…

En finir avec ce mélange de cécité et de résignation

Cette fois, les bons sentiments et les marches symboliques ne suffiront plus. Et le Président Hollande l’a bien compris qui, après avoir décrété l’Etat d’urgence, a annoncé lundi 16 novembre devant le Congrès réuni à Versailles son double revirement, aussi spectaculaire qu’indispensable. À l’extérieur, l’abandon du « ni-ni » cher à Laurent Fabius (« Ni Assad, ni Daesch »), stratégie stérile, que pour ma part, je n’ai cessé de dénoncer depuis deux ans. Et à l’intérieur, la mise en œuvre, grâce à l’état d’urgence, de mesures d’investigations et de protection adaptées à la menace.

Cette fois, « la France est en guerre » nous dit le Président. Il était temps, grand temps de s’en rendre compte et d’en finir avec ce mélange de cécité et de résignation qui longtemps ont semblé tenir lieu de politique sécuritaire.

Cécité quant au nom de discours convenus sur le « vivre-ensemble » et la tolérance, nos frontières restaient grandes ouvertes alors que, depuis des mois, affluait un million de réfugiés non identifiés sur notre continent, parmi lesquels n’importe qui a pu s’infiltrer. Mais le ministre de l’intérieur imperturbablement, répétait que ce flot va en Allemagne et pas en France. Dormez tranquilles bonnes gens.

Cécité quand nous savons que la prison sert de lieu privilégié de radicalisation, mais que dans dizaines de milliers de téléphones portables y rentrent sans encombre (28 000 par an !) et ne sont pas écoutés, la pénitentiaire n’en ayant pas le droit et la Garde dans Sceaux refusant lors de la discussion de la dernière loi antiterroriste d’en faire un maillon dans la chaîne du renseignement.

Cécité quand une installation militaire majeure est braquée dans le sud de la France et que l’on cherche toujours ceux qui ont volé des centaines de kilos d’explosifs, de grenades et de détonateurs. Résignation quand on sait que l’on trouve en banlieue en vente libre des centaines d’armes de guerre.

Cécité quand revenus de Syrie, les djihadistes, faute d’être maintenus dans des centres de rétention, conservent le droit de se taire et de regagner leurs pénates, tout en bénéficiant de leurs droits sociaux (!), sauf si l’Etat parvient à apporter la preuve que les intéressés ont effectivement participé à des actions terroristes. La France est un pays où l’on multiplie les lois antiterroristes, tout en conservant les règles du temps de paix, confirmant le triste théorème que Churchill appliquait jadis aux démocraties confrontées à la guerre : « trop peu, trop tard ».

Une « intifada permanente » s’est abattue sur nous

Ce temps, nous dit-on aujourd’hui, est révolu. Après sa mue libérale avec Emmanuel Macron, la Gauche entamerait sa mue sécuritaire. On reprend les positions émises en vain par l’Opposition depuis trois ans sur la déchéance de nationalité, la rétention de sûreté pour les terroristes condamnés à l’issue de leur peine, la rétention ou la résidence surveillée des djihadistes fichés. Des règles d’engagement et d’armement indispensables aux forces de sécurité renforcées sont également promises. Tant mieux.

Il est temps, grand temps en effet, qu’après le moment de l’émotion et du deuil, la Nation se réveille. Qu’elle comprenne que cette guerre ne fait que commencer, qu’elle sera longue et cruelle, qu’une sorte d’« intifada permanente » s’est abattue sur nous. La Nation a le droit d’exiger de ses dirigeants autre chose que des mots de compassion et des défilés émotionnels. Et de grâce, qu’on nous épargne des mois de débats obscurs sur une réforme constitutionnelle qui, à l’évidence, n’est pas indispensable : la Loi de 1955 et la Constitution de 1958 ne sont-elles pas les filles de la Guerre d’Algérie ? Et puis, les Français attendent qu’on les protège tout simplement. Ils attendent aussi qu’on leur parle d’Islam en France, ce que le Président s’est refusé à faire, tout comme il se refuse à traiter sérieusement de la question de l’immigration. Ces questions-là, fondamentales, restent devant nous et il n’est pas sûr que le logiciel victimaire d’un Manuel Valls (le fameux « apartheid ethnique et territorial » soit le plus adapté…).

Il n’y a plus de place pour les demi-mesures, ni pour la résignation, qui nous condamneraient par avance au statut de victime, à l’image de ces malheureux, sans défense, massacrés au Bataclan ou sur les terrasses de café.

Pierre Lellouche est député (LR), ancien ministre. Il est délégué des Républicains aux relations internationales.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *