La France n’est pas le gendarme du monde, l’ONU doit intervenir

La tuerie de Nice le 14 juillet 2016 (83 morts), après celle du Bataclan le 15 novembre 2015 (130 morts) et celles de Charlie Hebdo et de l’hyper cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015, confirme un peu plus, aux yeux de beaucoup de nos compatriotes, que nous sommes engagés dans une guerre. Effectivement, la France est clairement engagée militairement en Syrie et en Irak, et ce sur un mode croissant : depuis les débuts de l’opération « Chammal » en septembre 2014, la France a effectué plus de 4 000 sorties aériennes et a mené plus de 600 frappes, dont le bilan fourni par le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian le 21 janvier 2016 était de 1 000 djihadistes de l’organisation Etat islamique. Et le président Hollande a affirmé récemment vouloir encore intensifier ces frappes. Il a aussi annoncé vouloir intensifier l’opération « Barkhane » au Sahel, qui est en cours depuis plusieurs mois contre les groupes djihadistes dans le nord du Mali.

Plutôt que d’intensifier ces attaques aériennes qui ont fait des dizaines de victimes civiles innocentes, notamment des femmes et des enfants, il faut arrêter ces frappes en Irak et en Syrie ! Sinon nous serons pris dans une spirale infernale, celle d’une guerre qui frappera de plus en plus de civils, en Syrie comme en France. Et cela pourrait bien entraîner un éclatement de la société française, un repli des communautés sur elles-mêmes, une xénophobie croissante, et même l’arrivée du fascisme au pouvoir ! C’est justement ce que veulent aussi bien les islamistes que l’extrême droite : scinder la société, exacerber les clivages, les haines entre musulmans et non-musulmans, entre Occidentaux et réfugiés…

Ce n’est pas à la France de faire le gendarme du monde. Il existe une organisation internationale depuis plus de 70 ans, l’Organisation des Nations Unies, créée pour éviter que de telles dérives se produisent. L’ONU est souvent taxée d’impuissance et d’inefficacité, et c’est vrai qu’elle est parfois insuffisamment efficace ou court-circuitée par d’autres instances (OTAN, G7, OCDE…). C’est à nous, les États, les peuples, de rendre à l’ONU tout le rôle qui lui a été attribué dans la Charte de 1945, très beau texte et toujours d’actualité. L’ONU a créé en 1948 les « casques bleus », qui depuis leur création ont été engagés dans une soixantaine de missions de paix, et ont souvent permis de régler des conflits épineux. Ils ont d’ailleurs obtenu le Prix Nobel de la Paix en 1988. L’ONU est aussi à même de faire de la « consolidation de la paix » (peacebuilding), comme l’a théorisé son secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992, c’est-à-dire aider un pays à (re) construire sur le long terme un de droit démocratique, en organisant des élections, en formant les citoyens aux idées démocratiques, etc. Depuis 2001, l’ONU a développé l’idée de la « responsabilité de protéger », qui affirme que si un État n’est pas en mesure de protéger sa population, il revient à la communauté internationale, donc à l’ONU, de le faire. Ainsi, l’ONU est particulièrement bien placée pour intervenir dans le conflit syrien.

Attitude contradictoire

Au lieu de dépenser des sommes colossales dans l’armement et dans ces frappes meurtrières à l’étranger, la France devrait consacrer son argent à financer davantage les services publics comme la santé, l’éducation, la culture, l’aide à l’emploi… Ainsi, cela réduirait la fracture au sein de la société, le sentiment de beaucoup de Français de se sentir exclu, la frustration et l’amertume qui conduit bien des jeunes à se réfugier dans la radicalisation islamiste, et d’autres à adopter des réflexes xénophobes et à écouter les sirènes fascistes. En outre, il y a une contradiction dans l’attitude de la France : alors que le président Hollande affirme vouloir lutter contre Daech, il entretient de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, pays qui défend le wahhabisme, islamisme puritain et sectaire dont se nourrit Daech. Le président Hollande a ainsi en mars 2016 décoré de la légion d’honneur le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Nayef, également ministre de l’Intérieur de son pays, alors que rien ne justifiait cette décoration, au contraire. De plus, la France a conclu d’importants contrats d’armement avec l’Arabie saoudite. Comme l’affirme l’écrivain algérien Kamel Daoud, l’Arabie saoudite n’est que la face propre et respectable de Daesh : « Daech noir, Daech blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre », écrivait-il après les attentats du 13 novembre 2015 dans le New York Times.

À l’appui de ce jugement, dans une tribune publiée par Le Monde le 17 novembre 2015, les historiens Sophie Bessis et Mohammed Harbi ont montré, également, l’existence d’une filiation idéologique entre l’organisation État islamique et l’Arabie saoudite : « Exigeons que la France mette un terme à ses relations privilégiées avec l’Arabie saoudite et le Qatar, les deux monarchies où l’islam wahhabite est la religion officielle, tant qu’elles n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes, tant que leurs lois et leurs pratiques iront à l’encontre d’un minimum décent d’humanité ». Il faut donc au plus vite que la France et les autres pays occidentaux mettent un terme à leur attitude contradictoire qui fait que nous, les Occidentaux, entretenons de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, qui fait le lit du djihadisme, et que nous vendons (indirectement certes, mais quand même) des armes à l’organisation État islamique et lui achetons (indirectement certes mais quand même). Si tous les pays occidentaux coupent ces financements et si l’on confie à l’ONU la mission de rétablir la paix en Syrie et d’y organiser des élections et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement démocratique, on pourra sortir de ce dangereux guêpier.

Chloé Maurel (docteure en histoire, spécialiste des Nations Unies)

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