La Grèce et l'Islande cinq ans après la faillite

Lorsque la faillite de Lehman Brothers déclencha l'effondrement du secteur financier islandais, en octobre 2008, les bilans combinés des banques du pays équivalaient à dix fois son produit intérieur brut (PIB).

Peu après la chute des banques islandaises, celles d'Irlande, du Portugal, de Grèce, d'Italie, d'Espagne et de nombreux autres pays furent prises à leur tour dans la tourmente. Les gouvernements de ces pays employèrent toutes sortes de moyens pour éviter un effondrement financier généralisé, notamment en retirant les actifs douteux du bilan des banques en difficulté, en garantissant le paiement des dettes, et même en apportant de l'argent frais aux établissements en péril.

L'Islande et la Grèce ont toutefois constitué deux cas à part. La dette souveraine grecque était trop lourde pour pouvoir être augmentée ; l'effondrement des banques islandaises était d'une ampleur trop importante pour que l'Etat puisse en digérer les conséquences. La dette grecque a donc dû subir une sévère décote, tandis que l'Islande plaçait ses trois banques internationales en liquidation judiciaire. Les deux pays sollicitèrent l'aide du Fonds monétaire international (FMI). L'un et l'autre ont adopté des mesures sévères pour réadapter leur structure économique aux réalités du monde.

DES SITUATIONS TRÈS DIFFÉRENTES

Cinq ans après, les situations islandaise et grecque sont très différentes. En Islande, le taux de chômage est tombé en dessous de 5 % après avoir culminé à 9,5 %. L'économie est en expansion. Les inégalités de revenus ont été réduites. Le budget public est quasiment équilibré. La Grèce, elle, connaît un taux de chômage record de 27 %, une économie en récession pour la cinquième année consécutive et des inégalités de revenus en augmentation.

Pour certains, ce succès relatif de la voie islandaise s'explique par le fait que l'Etat aurait refusé de venir en aide à ses banques, que l'addition aurait ainsi été négligeable, que le président islandais aurait bloqué les demandes de dédommagement des banques britanniques et néerlandaises – soit un coût de 4 milliards d'euros évité au contribuable islandais –, et enfin qu'une dévaluation de 50 % de la monnaie nationale aurait permis de donner un coup de fouet aux exportations.

Aucune de ces affirmations n'est exacte. Le coût total direct réglé par la population à la suite du refinancement de la banque centrale et d'autres établissements financiers en faillite a atteint 20 % à 25 % du PIB. D'autres coûts continuent de s'y ajouter. La dette publique a atteint 60 % du PIB en 2012. La commission de liquidation de la Landsbanki, qui a fait faillite en 2008, a dû rembourser, avec intérêts, ses créanciers prioritaires étrangers dans le cadre de la directive sur la garantie des dépôts bancaires invoquée par le Royaume-Uni et les Pays-Bas. En l'absence d'accord avec ces deux pays, la Landsbanki doit aujourd'hui transférer des fonds vers Londres et Amsterdam à un rythme considéré comme une menace macroéconomique pour l'Islande.

SYNDROME HOLLANDAIS

Deux des grandes industries islandaises d'exportation sur trois, les pêcheries et l'aluminium, qui ont vu leurs capacités réduites pendant la crise, ne peuvent aujourd'hui augmenter leur taille pour bénéficier des effets de la dévaluation. La troisième, le tourisme, a connu une progression régulière, mais atteint aujourd'hui sa capacité maximale. Surtout, la dévaluation a réduit d'au moins 20 % le pouvoir d'achat de la population.

Les deux pays ont souffert du syndrome hollandais, à savoir que les niveaux élevés des prix et des salaires nationaux ont freiné les exportations et favorisé les importations. Les données financières et macroéconomiques sur cette surchauffe étaient accessibles à tous, y compris aux agences de notation. Attribuer leurs erreurs de diagnostic aux piètres statistiques grecques est un conte pour enfants. En Islande comme en Grèce, la surchauffe de l'économie au début des années 2000 et l'intérêt qu'y ont trouvé ceux qui spéculaient sur les écarts de rendement appartenaient à l'exubérance irrationnelle qui dominait alors tous les secteurs de l'économie mondiale.

Ce sont donc d'autres caractéristiques qui expliquent les destins différents de l'Islande et de la Grèce. Alors que les deux pays ont bénéficié des conseils et des financements du FMI, la Grèce s'est vu imposer l'austérité par une Allemagne hégémonique dont la seule préoccupation était de sauver ses propres banques de la faillite et de ne pas créer de précédent au cas où des économies beaucoup plus importantes, comme celles de l'Italie, de l'Espagne et éventuellement de la France, auraient besoin d'être sauvées du naufrage. Berlin a ainsi délibérément écarté les mesures qui auraient pu sauver la Grèce en raison de sa taille minuscule par rapport aux autres économies européennes.

En revanche, l'un des points essentiels de l'accord entre Reykjavik, le FMI et les pays qui ont cofinancé le plan d'aide à l'Islande était que celle-ci serait autorisée à laisser agir les "stabilisateurs automatiques" (en clair, laisser filer les dépenses publiques) durant les deux ou trois premières années du programme. Cela signifiait concrètement que l'Islande ne serait pas poussée sur la voie de l'austérité. Le keynésianisme était, de fait, accepté.

La Grèce constituait un test décisif pour des idéologies budgétaires divergentes : les politiciens néolibéraux ont imposé leur point de vue sans pitié, y compris, comme l'a montré la polémique sur les multiplicateurs budgétaires, en sous-estimant les coûts de l'austérité. En Islande, le déficit du secteur public s'élevait en 2009 à 10 % du PIB. Cela n'aurait pas été possible sans l'accord du FMI.

Autre différence, l'Islande a mis rapidement en place des programmes d'allégement de la dette à l'intention des entreprises viables, ce qui a permis de sauver de nombreux emplois et d'empêcher l'enchaînement des faillites. Il a fallu attendre fin 2011 pour que l'idée d'une restructuration partielle de la dette grecque soit enfin adoptée. Trop tard.

Par Thorolfur Matthiasson, Université de Reykjavik. Traduit de l'anglais par Gilles Berton.

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