La leçon du camp de Moria

Le camp de réfugiés de Moria ravagé par l’incendie. Lesbos, Grèce, 9 septembre 2020. — © AFP
Le camp de réfugiés de Moria ravagé par l’incendie. Lesbos, Grèce, 9 septembre 2020. — © AFP

Au cours de son point de presse sur les incendies ayant ravagé le camp de Moria à Lesbos les 9 et 10 septembre dernier, le porte-parole du gouvernement grec, Stelios Petsas, déclarait: «Ils pensaient que s’ils mettaient le feu à la Moria, ils pourraient quitter l’île. Peu importe ce que les pyromanes avaient en tête, ils peuvent l’oublier.»

La manière dont ces incendies ont été allumés n’est pas encore confirmée mais ce que M. Petsas laisse entendre, à savoir que les réfugiés ont mis le feu au camp pour pouvoir s’enfuir, nourrit encore l’entreprise de déshumanisation de Lesbos. Le simple fait de laisser penser qu’incendier sa propre maison est un pas vers la liberté devrait suffire à remettre en question l’existence même de «Moria».

Le terme de maison était déjà trop erroné pour les personnes touchées par l’incendie dont les «foyers» consistaient en des conteneurs, des cabanes et des tentes qu’ils partageaient avec plus de 12 000 autres demandeurs d’asile dans des conditions de salubrité déplorables. Aujourd’hui, ils sont livrés à la rue, sur les cendres d’un camp qu’ils honnissaient, symbole d’une forme de maltraitance de leur dignité, et où il leur sera probablement imposé de retourner.

Un quotidien d’humiliation

Ce n’est pas la première fois que le camp de Moria est englouti par les flammes. En septembre 2016, un incendie avait déjà détruit le camp. Depuis, d’autres incendies plus petits avaient entraîné la mort de trois personnes. En réalité, ce grand incendie dure depuis des années. Il a été alimenté par la douleur infligée par le programme de contrôle et de dissuasion de l’UE en matière de migration, et attisé par les restrictions imposées aux déplacements des personnes. Par les files d’attente ahurissantes aux distributions de nourriture. Par les procédures d’asile injustes et en perpétuelle évolution. Par un quotidien d’humiliation, de xénophobie et de violence. Par les espoirs anéantis d’un avenir meilleur, ou à défaut d’une certaine dignité retrouvée en Europe.

Le message qui leur a été envoyé est clair: leur santé vaut moins que la politique de dissuasion de l’immigration

Depuis le mois de mars, les couvre-feux liés à la pandémie et les restrictions accrues sur les mouvements des demandeurs d’asile de Moria ont été prolongés à sept reprises pour une période de plus de 150 jours. Lorsque le confinement de Lesbos a été levé et que la population de l’île a pu jouir de ses nouvelles libertés, les habitants de Moria, eux, se sont confrontés à un enfermement plus strict encore, alors que rien n’avait été fait dans le même temps pour réduire la précarité de leurs conditions de vie ou mettre en place une réponse globale au Covid-19. Les résidents de Moria n’avaient aucune chance de suivre les mesures barrières les plus élémentaires, l’éloignement physique ou le lavage des mains. Le message qui leur a été envoyé est clair: leur santé vaut moins que la politique de dissuasion de l’immigration.

Ajouter l’insulte à l’injure

Pour ajouter l’insulte à l’injure, le gouvernement grec a ouvertement instrumentalisé la détection du premier cas Covid-19 en août dans le camp de Moria pour justifier de nouvelles restrictions sur les demandeurs d’asile dans les îles et pour promouvoir leurs projets de création de centres de détention. De plus, rien aujourd’hui ne prouve que la détention et le confinement dissuadent les demandeurs d’asile de quitter leur pays d’origine. En revanche, il est clairement prouvé que la quarantaine s’avère inefficace voire contre-productive dans des contextes mêlant surpopulation et insalubrité.

Les cendres de Moria sont un témoignage d’un désespoir promu par un système étatique de dissuasion, de déshumanisation et de négligence parrainé. Un système similaire de détention inhumaine ne doit pas renaître des cendres de Lesbos. Sa renaissance reviendrait à entériner le chaos et le désespoir aux portes de l’UE.

Aurélie Ponthieu, chargée d’affaires humanitaires à Médecins sans frontières.

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