La logique secrète du massacre

Que de guerres, que de jouissances morbides! Partout le même démon à l’œuvre, à croire que la Bête écarlate décrite par saint Jean dans l’Apocalypse ne cesse de vociférer et de vomir du sang.

Enclins à défendre l’Avoir plus que l’Etre, les hommes sont prêts à n’importe quel massacre pour assurer leurs privilèges. Les privations et les blessures sont les dommages qui déclenchent leurs belligérances; et l’hostilité jalouse constitue la base de leurs conflits.

Comment les hommes deviennent-ils bourreaux et victimes d’une entreprise guerrière? C’est la question arrimée aux cruautés et souffrances mésestimées par la plupart des politiques. Infatués par la suffisance de leur savoir, ils ignorent l’arme qui dégonde l’amour et le sens de la réciprocité.

«On nous a dit faites l’amour, pas la guerre, mais pourquoi donc l’amour nous fait-il la guerre?» Oui, pourquoi a-t-on besoin de guerroyer pour affirmer non l’amour mais la puissance destructive? Comment cela a-t-il pris forme depuis le premier âge, se demande le psychanalyste?

Cette interrogation réclame une réponse. Dès lors que la fouille psychanalytique exhume les mobiles sacrificiels, elle fournit, c’est certain, une interprétation de l’intime jouissance à l’origine des monstruosités sadiques.

Malgré l’interdit mosaïque du meurtre, la guerre n’est pas taboue. Plutôt un «art», voire une pulsion indéracinable disent certains. Même la lettre de Freud à Einstein en réponse à Pourquoi la guerre laisse perplexe. Freud invoque en effet une «dictature de la raison» pour neutraliser la guerre. Est-ce suffisant? Que non! Les passions non moins que la raison froide, la foi fanatique, la science objective et les politiques barbares, poussent au crime de guerre.

On ne comprend rien à ce crime si l’on ne comprend pas qu’il est voulu par des pères jaloux, cupides et barbares, et ce depuis les temps primitifs de la horde patriarcale. Toujours et encore, ce sont ces pères qui veulent la guerre et envoient les fils au casse-pipe, à croire qu’ils aiment massacrer et voir leur progéniture se faire massacrer.

Soyons lucides à l’extrême! L’intelligence perverse du meurtre n’est simple affaire de politique policière. Elle résulte des conflits qui font rage depuis les couches profondes de l’inconscient inhumain, et ce en chaque individu. Il n’y a rien de plus assuré pour le psychanalyste aguerri.

Deux textes notoires de l’humanité, l’Ancien Testament et le Mahabharatha , fournissent la preuve de cet état de fait. En l’un et l’autre, l’on y voit des hommes qui obéissent aux injonctions des démons ou à la volonté de Dieu pour s’entre-tuer.

«Le plus grand des crimes, c’est la guerre», disait Voltaire. La guerre, cette ruine commune, ce meurtre cher à tous les partisans du bain de sang a pour épicentre la tragédie du monde subjectif à l’origine de toutes les tragédies.

Si l’on est conscient que la guerre est la folie de ceux qui manipulent les foules, mais encore des foules qui marchent dans la combine, une juste compréhension se fait jour. Encore faut-il être prêt à remuer les enfers en dévoilant les perversions de l’idéalisme patriarcal.

On ne gagne que des cadavres et des tombes avec les guerres et, au bout du compte, des batailles perdues. A quoi cela rime-t-il, à quelle sordide exaltation létale? C’est la question que la découverte freudienne pose à chacun de nous.

Pour éliminer ceux qu’elle combattait, la Loi des peuples du désert, comme celle d’Athènes, pratiquait le meurtre. Au vu de la malédiction ancestrale qui criminalise l’humanité, Freud observe que nous sommes une bande d’assassins et que l’Histoire racontée à nos enfants est une suite d’homicides (In Considérations actuelles sur la guerre et la mort , 1915.).

De ce côté-ci d’une frontière, l’on est celui qui tue, de l’autre, l’adversaire à abattre, et inversement. Le grand pervers qui ordonne la guerre, c’est celui qui dresse les humains les uns contre les autres et leur crie: bombardez-vous, souffrez, mourez. Funeste destin: les uns et les autres, tous fils et filles d’une servitude volontaire, s’écharpent tels des pantins envoûtés par un ordre hypnotique.

Je ferai mienne une parole révolutionnaire de Freud qui désarme les exploits de la Bête écarlate: «Je suis un adversaire résolu du meurtre, que ce soit sous la forme d’un crime individuel ou d’Etat». Génial déchiffreur d’énigmes, Freud abhorrait la conduite de tous les va-t-en-guerre.

Mario Cifali, psychanalyste.

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