La menace chimique et biologique est-elle vraiment nouvelle ?

Quelle est la menace d’un attentat perpétré, selon l’euphémisme employé par les spécialistes, avec des moyens « non conventionnels » ? Ce risque d’attentat avec des « armes chimiques ou bactériologiques », le premier ministre Manuel Valls ne s’en est pas caché jeudi 19 novembre, dans son discours devant l’Assemblée nationale sur la prolongation de l’état d’urgence : « Il ne faut aujourd’hui rien exclure. Je le dis bien sûr avec toutes les précautions qui s’imposent mais nous savons et nous l’avons à l’esprit. Il peut y avoir aussi le risque d’armes chimiques ou bactériologiques », a-t-il dit devant un hémicycle quasi comble.

En faisant référence à l’utilisation malveillante de produits et substances aussi dangereux que terrifiants, cette menace est bien évidemment à prendre très au sérieux. Les attentats de Tokyo au gaz Sarin en 1995, l’emploi d’armes chimiques dans certains pays du Moyen-Orient - Syrie et Irak -, l‘utilisation de produits chimiques à des fins terroristes démontrent que nous devons pouvoir faire face à des attaques potentielles de ce type.

Ces menaces avaient déjà été prises en compte par les plus hautes autorités du pays dès le début des années 1990. Cette réponse globale, coordonnée par les services de l’Etat, repose sur l’élaboration de plans opérationnels, le renforcement de la réponse capacitaire en moyens humains et techniques (détection, tenues de protection, moyens de décontamination…), l’organisation de formations et d’entraînements interservices spécifiques. Ils se déroulent notamment sous l’égide d’un centre national de formation, commun à tous les services potentiellement mobilisés : armée, services de déminage, services hospitaliers, sapeurs-pompiers, police et gendarmerie, etc.

Les moyens déjà déployés sur l’ensemble du territoire s’appuient, entre autres, sur les 248 000 sapeurs-pompiers, dont 11 700 médecins, pharmaciens et infirmiers, et leurs 6 210 véhicules de secours et d’assistance aux victimes. Des moyens complétés par les équipes spécialisées que sont les cellules d’interventions chimiques (116) ou radiologiques et nucléaires (48), et les unités de décontamination (70). Une force opérationnelle technologique qui peut aussi être renforcée par des véhicules de « détection, identification et prélèvement ». Véritables laboratoires mobiles, ils permettent – in situ – de mettre un nom sur un produit toxique, d’en déduire la stratégie à appliquer et les thérapeutiques à engager. Plus de 20 000 sapeurs-pompiers sont aujourd’hui entraînés pour faire face à un ou plusieurs de ces risques. Ils sont prêts à renforcer leurs collègues, premiers intervenants non spécialistes, mais qui sont tous formés à suspecter une attaque de ce type et aux premières mesures d’urgence à prendre.

Conséquentes rassurantes, ces ressources ne constituent pas une nouveauté en soi. Elles sont issues de risques historiques. Ils ont émergé avec la première guerre mondiale et l’emploi de munitions chimiques. Ils se sont développés avec les peurs atomiques de la guerre froide. Ils se sont installés avec l’avènement des industries chimiques et nucléaires. La conscience de la société de son obligation de protection face à ces risques est donc ancienne, ancrée dans la responsabilité des décideurs politiques, et préparée par les acteurs opérationnels. Bien contemporain, un chiffre apporte la démonstration de la pleine actualité de ces risques : chaque année en France, près de 50 000 interventions mettant en cause des produits toxiques, biologiques ou nucléaires sont assurées par les sapeurs-pompiers après des accidents, sur des sites industriels ou lors des transports de ces matières.

Aussi divers soient-ils, les produits sont connus, avec leurs conséquences et la réponse à apporter. Mais il faut reconnaître que leur utilisation à des fins terroristes présenterait indéniablement un défi sans précédent au regard notamment du nombre de victimes potentielles, puisque tel serait l’objectif des auteurs.

Cette menace a été intégrée à la préparation de la COP 21, comme cela s’est fait pour les commémorations de l’anniversaire du débarquement en Normandie et se fera pour l’Euro 2016. Chaque événement d’ampleur est concerné. Le travail collaboratif entre l’armée, la santé et les services opérationnels a par exemple abouti à la mise à disposition d’antidotes contre les effets des armes chimiques sur l’homme. Il y a quelques jours encore, à Lens, un exercice majeur se déroulait, associant tous les acteurs de l’intervention, dans le cadre d’un scénario terroriste impliquant des produits chimiques lors d’un grand rassemblement de public. Vu la multitude de scénarios envisageables, l’adaptabilité doit être la règle. Il n’y a pas de système unique de réponse des pouvoirs publics. Celle-ci doit, en effet, être modulaire, multiforme et adaptée aux événements.

Si la gestion de l’attaque terroriste est du ressort des unités de police et de gendarmerie, les secours et les premiers soins aux victimes et impliqués en milieu hostile, quelle qu’en soit la forme, relèvent en premier lieu des sapeurs-pompiers qui coordonnent sous l’autorité du préfet, l’ensemble des moyens publics et privés. Les sapeurs-pompiers seront en première ligne grâce au maillage territorial qu’ils assurent, éprouvé depuis longtemps pour répondre aux risques quotidiens comme exceptionnels. Cette proximité sera aussi pour le jour « J », à défaut malheureusement de certitude qu’il ne surviendra jamais, un élément clé pour une détection précoce.

Sans catastrophisme ni angélisme institutionnel, la lucidité s’impose. La situation nécessitera bien sûr des moyens et des compétences, mais surtout de la rigueur et du bon sens. C’est aussi d’eux que peut dépendre chaque vie sauvée.

Eric Faure est président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

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