La mobilisation en Ukraine affaiblit les élites au pouvoir

Les grandes mobilisations réussissent moins par le nombre de personnes descendues dans les rues que par les effets de désintégration qu'elles produisent sur les élites au pouvoir. Cet enseignement de la sociologie des crises politiques nous indique que le succès de la mobilisation à Kiev tient beaucoup à sa capacité à faire bouger les lignes au sein même du Parti des régions.

Malgré la présidentialisation du pouvoir sous Viktor Ianoukovitch, ce parti est toujours organisé autour de plusieurs groupes oligarchiques en concurrence pour les positions de pouvoir politique et économique. Il s'agit du groupe de Donetsk, dominé par Rinat Akhmetov, l'homme le plus riche d'Ukraine, dont l'influence politique se mesure notamment au regard d'une cinquantaine d'élus considérés comme ses clients personnels à la Rada suprême. Il est aussi question du groupe énergétique RosUkrEnergo, emmené par Dmitri Firtach, et dont les relais politiques sont Sergueï Levotchkin, chef de l'administration présidentielle, ainsi qu'une vingtaine d'élus du Parti des régions. Enfin, la famille Ianoukovitch, faiblement représentée au Parlement, tend à monopoliser les principaux appareils économiques, bancaires et sécuritaires de l'Etat à travers les postes de premier vice-premier ministre (Sergueï Arbouzov), de ministre des taxes et des recettes publiques (Oleksandr Klymenko) ou de ministre de l'intérieur (Vitali Zakhartchenko).

RECONFIGURATION DE LA MAJORITÉ

Dans le contexte de suspension du processus d'association et sous la pression de la rue, les premières fissures sont apparues dans cet édifice du pouvoir. Sergueï Levotchkin a d'abord donné sa démission. Une dizaine de députés considérés comme ses proches ont ensuite annoncé leur intention de quitter les rangs du Parti des régions au Parlement. Ces déclarations ont laissé entendre qu'une reconfiguration de la majorité parlementaire autour des députés de l'opposition, des élus indépendants et de ces transfuges du Parti des régions n'était pas à exclure. Enfin, la chaîne de télévision Inter, sous contrôle du groupe RosUkrEnergo, a beaucoup surpris par une couverture juste et équilibrée des événements sur la place Maïdan, contrairement à ses habitudes de minimiser les activités de l'opposition.

Alors que les dissensions dans des cercles du pouvoir sont réelles, elles peinent cependant à produire leurs effets. A la réunion plénière de la Rada suprême, le 3 décembre, seul un élu s'est désaffilié du groupe du Parti des régions et un autre a donné sa voix en faveur de la motion de défiance au gouvernement déposée par l'opposition. Quant à la démission de Sergueï Levotchkin, elle a été finalement rejetée. Depuis, des appels se multiplient à l'attention des Occidentaux pour qu'ils viennent en aide à la mobilisation protestataire, en mettant des pressions sur les oligarques ukrainiens. Seule une menace directe sur leurs intérêts, sous forme de sanctions à leurs égards et sur leurs avoirs personnels, semble susceptible aujourd'hui de les amener à retirer leur soutien à Viktor Ianoukovitch.

Par Ioulia Shukan, maître de conférences à l’université Paris-Ouest- Nanterre-la Défense (Paris-X) et chercheuse à l’Institut des sciences sociales du politique.

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