La monarchie marocaine croit-elle en ses mythes?

Manifestation pour demander la libération de Nasser Zefzafi, leader du mouvement de contestation qui touche la ville d’Al Hoceïma, chef-lieu de la région du Rif. © AFP PHOTO / FADEL SENNA
Manifestation pour demander la libération de Nasser Zefzafi, leader du mouvement de contestation qui touche la ville d’Al Hoceïma, chef-lieu de la région du Rif. © AFP PHOTO / FADEL SENNA

Dans le sillage des protestations de 2011, la monarchie marocaine a procédé à des réformes supposées crédibiliser la voie des urnes et faire taire la voix de la rue. Six ans plus tard, un gouvernement est formé de manière déliée avec les résultats des urnes, au moment même où l’arène protestataire se transforme en hydre à cent têtes. A l’heure des contre-révolutions, la monarchie marocaine aurait-elle commencé à croire aux métarécits dont elle fait l’objet? En effet, aux yeux de nombreux observateurs, elle a confirmé sa réputation d’«experte en survie» en 2011 et son «triomphe» est presque inscrit dans ses gènes. Naturaliser ce phénomène revient néanmoins à occulter que cet équilibre est tributaire d’efforts d’adaptation sisyphéens, du moins tant que le roi règne et gouverne. Plus précisément, les sept facteurs de stabilité, habituellement invoqués, méritent d’être nuancés.

Une légitimité religieuse et historique?

Oui, la monarchie s’est investie dans la production et la réactualisation d’un important dispositif de légitimation. Mais la fragilité de ce territoire s’observe quotidiennement et les proclamations de royalisme puisent avant tout dans un registre pragmatique. En outre, s’octroyer le monopole de l’usage politique de «Dieu» et de «la patrie» ne déconflictualise pas pour autant ces questions. Les instrumentaliser contre les protestataires du Rif exacerbe les tensions.

Un soutien externe infaillible?

Oui, la monarchie se distingue par son aptitude à mobiliser des ressources externes, à s’adapter à son environnement, et le royaume est d’autant plus perçu comme un havre de paix que le contexte régional est chaotique. Mais, l’histoire l’a encore montré, ces facteurs ne produisent pas un effet systématiquement protecteur.

Une armée apprivoisée?

Oui, depuis les complots militaires de 1971 et 1972, la monarchie a développé un arsenal de stratégies préventives. Cependant, on a pu le constater récemment, pendant les conjonctures critiques, rien n’est totalement décidé à l’avance, ne serait-ce que parce que les acteurs en présence ne calculent plus comme ils le font d’habitude.

Un usage «maîtrisé» de la répression?

Oui, la monarchie a appris de ses erreurs passées et de celles de ses voisins: le recours à une répression ciblée et modulée a contribué à éviter l’embrasement en 2011. Toutefois, dans le Maroc d’aujourd’hui, le seuil de tolérance de la répression est d’autant plus bas que les protestataires ne se perçoivent plus comme impuissants.

Des institutions représentatives qui diluent les griefs?

Oui, le Maroc est doté de sphères partisane et associative denses, censées renouveler les clientèles, fragmenter les challengers et diluer les griefs. Depuis l’avènement de Mohammed VI, la mise en scène d’un roi «éclairé» au chevet de «l’homme malade» (la classe politique) conforte la centralité de la monarchie. Mais, par-delà les discours de «réhabilitation» de l’action politique, la saga de la formation du gouvernement, désigné en avril 2017, a véhiculé le message suivant: l’élite politique doit ses positions à sa force dans la «société de cour», proportionnellement à sa faiblesse dans la société. Or les recettes habituelles sont en train de tourner à vide et la monarchie est sur le point de devenir le seul réceptacle de griefs croissants.

Une arène protestataire «routinisée»?

Oui, l’occupation de la rue au Maroc s’est pacifiée au cours des deux dernières décennies. Néanmoins, l’arène protestataire ne cesse de s’étendre socialement et géographiquement en faisant écho aux mutations à l’œuvre: l’érosion continue de la peur des autorités, le desserrement accéléré de l’emprise des intermédiaires classiques, le renforcement des capacités de coordination d’actions collectives pacifiques et durables. Autrement dit, à l’exemple des acteurs qui tiennent le pavé depuis sept mois dans le Rif, les protestataires apprennent également de leurs erreurs et de celles de leurs voisins. Mais, par-delà les apprentissages accumulés de part et d’autre, la force des événements peut entraîner les protagonistes en présence au-delà de tout ce qu’ils ont imaginé.

Une «subtilité» quasi innée de la monarchie?

Oui, au cours des dernières décennies, la monarchie a dû sa survie, principalement, à sa capacité d’anticipation. Reste à souligner un élément crucial. En 2011, tandis que Ben Ali et Moubarak vantaient l’«exceptionnalité» de leur régime tout en y croyant, la monarchie marocaine s’est également distinguée par une campagne de communication dans ce sens, mais en se gardant bien de se laisser berner par ses propres mythes.

Et, aujourd’hui, qu’en est-il? Aurait-elle commencé à croire aux récits, ressassés en guise de réassurance par une partie de l’élite, trop faible pour défendre le trône, mais qui cultive l’illusion que celui-ci pourra indéfiniment la préserver aussi bien des aléas du suffrage universel que des risques révolutionnaires?

Mounia Bennani-Chraïbi, professeure en sciences politiques, Université de Lausanne.

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