La mort de Dieu sonne-t-elle la fin de l’humanisme?

La mort de Dieu sonne-t-elle la fin de l’humanisme?

«Chassons l’infâme!» Ceux qui ont lancé, il y a plusieurs siècles, le fameux mot d’ordre pourraient s’exclamer aujourd’hui: mission accomplie! Dans nos sociétés, l’affaire est entendue: l’infâme, soit le christianisme, est en déroute. Il y a longtemps que les grands indicateurs de la croyance ont viré au rouge, à commencer par le nombre de baptêmes, de fidèles pratiquants ou de prêtres et de ministres du culte. Les propos religieux n’ont plus leur place dans les échanges courants et la théologie chrétienne n’est plus un savoir de référence depuis des décennies. Non seulement Dieu est mort, assassiné, mais son meurtre est sorti des mémoires et on ne sait plus où son cadavre se trouve, commente un fin observateur du monde contemporain.

La culture ayant horreur du vide, une vision du monde très différente de celle du christianisme s’est imposée. Si on faisait autrefois l’éloge du don, et d’abord du don de soi, on célèbre depuis longtemps les vertus du calcul intéressé et des échanges marchands. On disait le moi haïssable; on affirme désormais qu’il faut à tout prix le consolider. On vénérait le «verbe», la parole; on n’a d’yeux que pour les chiffres et les classements. On attendait beaucoup de l’être humain; on se détourne de lui. Car n’est-ce pas là la leçon à tirer de l’essor de ces mouvements de pensée: l’antispécisme et le transhumanisme? Pas étonnant que certains poursuivent désormais cet objectif: en finir avec l’humanisme, «ce pic de narcissisme culturel qui plaçait l’homme au centre de toutes choses».

Retour aux catacombes

Hors d’usage, les trésors du christianisme sont recyclés. Les églises enchantent les touristes et la musique sacrée ravit les mélomanes. Ce qui restait de la vie de prière sert désormais au développement personnel ou à l’entretien de sa santé. Certains outils de l’ancienne morale trouvent un emploi dans le domaine de l’éthique. Des concepts de la pensée confessionnelle sont récupérés par les philosophes les plus lus, comme Peter Sloterdijk ou François Jullien, qui jurent en même temps qu’ils ne veulent surtout pas «offrir un nouveau tour de piste aux figures du Salut ou de la Sainteté». Fait significatif, personne ne s’en émeut, comme si tous ceux qui pouvaient se sentir lésés par ce type d’appropriation culturelle étaient morts.

Le christianisme a été renvoyé aux catacombes. Tout est bien qui finit bien? Certains en sont convaincus. En se débarrassant de Dieu, «instance nécessairement oppressive», nos sociétés auraient sapé les fondements de toutes les servitudes et discriminations. Un avenir radieux s’offrirait à l’humanité enfin affranchie de toute figure dominante. Un tel optimisme se justifie-t-il? Et si, au contraire, la voie qui s’ouvre devant nous n’était pas une piste d’envol, mais un ruban d’asphalte se craquelant de toutes parts? L’heure est à la dislocation, à la fragmentation. Chacun vaquant de son côté sur ses écrans, à ses affaires, comment pourrions-nous faire ensemble une société? Rien de surprenant si les inégalités se creusent et les antagonismes s’exacerbent. Les intérêts des uns et ceux des autres sont désormais tellement divergents qu’il est devenu quasiment impossible de résoudre des problèmes majeurs, comme le chômage, l’intégration des migrants ou le réchauffement climatique.

Quelle leçon tirer de la Nativité?

Nos sociétés sont en crise, qui le niera? Cette crise survient à l’heure où elles ont définitivement pris congé de la religion qui leur a donné naissance. La coïncidence est si frappante que la question se pose: et si les deux phénomènes étaient liés? Et si les problèmes actuels résultaient, en partie au moins, de l’abandon de certaines valeurs fondamentales véhiculées en sous-main par un christianisme qui fut, hélas, trop souvent obnubilé par ses dogmes et la quête du pouvoir? Et s’il fallait, pour sortir de l’impasse, relire certaines pages du message spirituel répudié. Lesquelles? Par exemple, celles qui jettent le discrédit sur le chacun pour soi et la course à la richesse, et font l’éloge du lien et du partage. Ou encore celles qui relatent l’événement de Noël, dans des heures sombres où une lumière se faisait attendre.

Quelle leçon, audible pour des oreilles d’aujourd’hui, tirer de la Nativité? Evoquer un sauveur couché dans une mangeoire, associer ainsi faiblesse et espoir, c’est affirmer que ni le savoir technique, ni la maîtrise des «choses», ni a fortiori la croissance économique ne sont la clé de l’avenir et du bonheur. C’est suggérer qu’il y a parfois plus à attendre de l’humilité, de la patience et de l’écoute que de l’action immédiate, de la confiance en soi sans failles et de toutes les réalisations du monde. Comme si, pour utiliser une image, le silence de la nuit était plus prometteur que les fracas du jour… Tout le contraire du credo ambiant.

Yvan Mudry, essayiste.

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