La nature contre la culture: un programme écologique?

Les agressions militantes perpétrées contre des œuvres d’art ont provoqué l’indignation qu’elles escomptaient. Nous savons désormais qu’il faut doublement se méfier d’un activiste écologiste quand il dit qu’il s’y colle : les extrémistes n’ont pas le sens du second degré…

Mais laissons là la bêtise du geste pour comprendre l’aberration de la pensée qui le sous-tend et le danger que celle-ci représente dans un monde où les défis environnementaux occupent justement le devant de la scène.

Pourquoi l’art, qui n’est a priori le symbole de rien dans la lutte contre la décarbonation et la préservation de la biodiversité, est-il devenu la cible récurrente d’écologistes radicalisés ? La nature contre la culture : voilà en substance le message régressif auquel nous sommes invités à souscrire.

Les musées sont, comme tous les lieux de mémoire, des sanctuaires de nos civilisations. Or, pour ces jeteurs de soupe, celles-ci corrompent par essence notre rapport primordial à la nature : l’art exprimant la quintessence d’une sublimation de la condition humaine qui leur est inaccessible et donc intolérable.

Le propre de l’Homme est d’avoir fait « effraction dans la nature tout en lui appartenant toujours. […] Que l’homme existe signifie que seul il peut se tenir extérieur à son monde : l’animalité reste intégrée dans son environnement et appartient complètement au fini ; l’homme, qui s’en est décalé, est ouverture, de l’intérieur du vivant, à de l’inconnu et de l’infini » (François Jullien. Dé-coïncidence – D’où viennent l’art et l’existence).

Contempler un paysage et une œuvre d’art engage un même regard. Dans les deux cas se joue une dé-coïncidence propre à l’Homme. L’extériorisation par laquelle la nature s’émeut d’elle-même suppose un truchement humain et celui-ci consiste en un jugement de nature culturelle.

De toute évidence ce n’est pas l’amour de la nature qui gouverne l’esprit de ces militants mimétiques, mais la haine de la société, de sa pluralité et du passé dont nous procédons : ce qui est le propre de tous les extrémismes politiques qui rêvent d’ un ordre nouveau, ennemi des libertés . Il est logique que ces cracheurs de soupe n’aiment pas davantage l’agriculture – autre cible fétiche de leurs performances – qui leur échappe autant que l’art. C’est pourquoi, rassurons-nous, l’on n’en verra point de sitôt se coller (symboliquement) les mains sur le volant d’un tracteur pour le faire tourner… Il y a des limites à l’engagement.

Pour un environnement… civilisationnel. Si l’on admet que nature et culture procèdent d’un même et indissociable environnement pour l’humanité, alors il importe de s’inquiéter des deux. Sauver la planète pour la transformer en parc d’attractions pour décérébrés sans racines, sans imaginaires, sans absolus… Qui veut le programme ?

La décarbonation des activités humaines pour lutter contre le réchauffement climatique s’annonce comme le grand combat planétaire du siècle – un combat en forme de course contre la montre. Les progrès industriels et techniques façonnés au XIXe et au XXe siècles, couplés à une explosion démographique mondiale et au développement de la société de consommation, ont favorisé un désastre environnemental dont les conséquences et la brutalité ont été sous-estimées après avoir été ignorées.

Si l’urgence d’une cause est presque toujours le révélateur d’un discernement tardif, ne tardons pas trop à nous inquiéter, à la même échelle de conscience, des effets secondaires de notre gestion collective de certains progrès quant à la fabrique de la société qui vient. Inquiétons-nous par exemple de la violence totalitaire et abrutissante des écrans, consommés sans restriction dès le plus jeune âge, du prisme délétère que ces derniers offrent à des enfants ou à de jeunes adolescents, consommateurs addictifs et désœuvrés : jeux vidéo toxiques, images violentes ou dérisoires, voyeurisme, emprises conversationnelles sur les réseaux sociaux…

L’appauvrissement des rêves et des imaginaires (donc du réel), des éruditions et des savoirs fondamentaux, de nos sociabilités et de nos altérités, dans une société minée par le culte du divertissement et la dévalorisation du sens de l’effort, est bien réel et de mieux en mieux documenté.

Faut-il dire aux entreprises et aux institutions qu’elles ont aussi le droit de s’engager sur ces enjeux culturels comme elles aspirent à le faire et le font pour l’environnement ? Faut-il souligner que ce sont rarement les progrès dont il faut faire le procès, mais les usages que nous en avons et la gouvernance de l’idée même de progrès ? On le voit bien, et à l’aune de ces actions pitoyables mieux encore, sauver la planète ne peut pas être à soi seul un programme de civilisation, même si c’est là un préalable à toute forme d’avenir.

Vincent Lamkin est co-fondateur de Comfluence et président d’Opinion Valley.

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