La négociation permanente et transparente, seule stratégie vers un accord de paix en Ukraine

Le sommet qui a réuni à Paris, le 9 décembre, la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France a produit des effets significatifs et aura un impact sur le processus de paix dans l’est du Donbass. L’absence de résultats marquants est paradoxalement rassurante, car tout compromis accepté par le président russe aurait signifié une concession unilatérale du président ukrainien.

Tout d’abord, Volodymyr Zelensky a fait connaissance avec Vladimir Poutine en terre européenne, à Paris, sous les regards protecteurs d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel. Le chef d’Etat ukrainien s’y trouvait en position de force diplomatique. Il pouvait accepter de serrer la main de son adversaire et lui rappeler la position de son pays, et les « lignes rouges » infranchissables.

Par contraste, Vladimir Poutine est apparu isolé, retranché derrière son récit fictionnel : « la Russie n’est pas partie prenante dans le conflit du Donbass, c’est un affrontement local entre Ukrainiens et russophones ». Depuis avril 2014, il joue la carte de la subversion armée dans l’Est ukrainien et de l’enfermement de la population dans une zone de non-droit. Il table sur l’épuisement et l’acceptation du fait accompli, comme en Crimée, dont l’annexion par Moscou est dénoncée par la communauté internationale mais n’est pas contestée sur le terrain. En martelant ses conditions, inchangées, et en refusant de négocier le retrait total des forces armées qu’il soutient, le président russe a perdu la manche diplomatique.

L’imprudence de Zelensky

Le sommet du 9 décembre a permis de relancer la négociation sur la base du processus engagé à Minsk (Biélorussie) en septembre 2014, avec la médiation des pays européens, représentés par Paris et Berlin, et la mission d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), approuvée par les parties au conflit : Kiev, Moscou, et les « séparatistes » installés par Moscou dans les villes ukrainiennes de Lougansk et Donetsk. Ainsi, les médiateurs ne prétendent pas ignorer la réalité de ces chefs sans légitimité politique, dont l’autorité n’est reconnue que par la puissance russe, dont ils dépendent totalement. A trop miser, à travers ces derniers, sur un diktat au Donbass, Vladimir Poutine voit son avantage militaire se muer en faiblesse politique. Il impose par la force, et non la persuasion. Il est bien celui qui a déclenché le conflit et le nourrit.

Le principe de la représentation citoyenne dans des scrutins libres et honnêtes a été réaffirmé à Paris par le président ukrainien et ses partenaires occidentaux. Les deux millions de personnes vivant sous occupation ne voteront pas sous contrôle militaire et policier. De même, le million et demi de personnes déplacées doivent pouvoir élire leurs représentants parmi un choix ouvert de candidats, et non une liste verrouillée par les administrations séparatistes.

Volodymyr Zelensky s’était montré imprudent après son élection en avril, transformant sa promesse de campagne – apporter la paix au Donbass – en stratégie immédiate. Vladimir Poutine avait interprété ce volontarisme comme une vulnérabilité facile à exploiter, puisque toute tentative de cessez-le-feu dépend principalement de la bonne volonté du Kremlin. Des milliers d’Ukrainiens ont manifesté et appelé leur président à ne faire aucune concession sur l’intégrité territoriale du pays. Ils ont aussi mis la pression contre des « deals » avec Gazprom, le géant russe du gaz qui propose un accord sur le transit du gaz par l’Ukraine contre un renoncement ukrainien à l’amende de trois milliards de dollars infligée à la Russie par le tribunal d’arbitrage de Stockholm.

Poutine face à un dilemme

Désormais, Vladimir Poutine se trouve face à un dilemme. En s’obstinant à demander des élections locales sous contrôle des administrations séparatistes, il exposerait ouvertement l’implication de Moscou au Donbass. En acceptant la tenue de scrutins dans le cadre de la législation ukrainienne, il reconnaîtrait implicitement l’illégitimité des « référendums » de 2014 à Lougansk et Donetsk, et en Crimée. Il ouvrirait ainsi la boîte de Pandore. Les élections qui se succèdent en Russie depuis vingt ans sont contrôlées, et entachées de fraudes alors même que son bilan de politique intérieure est de plus en plus critiqué. Selon le Centre Levada d’étude de l’opinion, près des trois-quarts des Russes pensent que leur gouvernement poursuit ses propres intérêts et non les intérêts de la société. Ils sont aussi une majorité à souhaiter l’apaisement des relations avec l’Ukraine et la fin de l’engagement militaire en Syrie.

Le 9 décembre, Emmanuel Macron a pratiqué les arcanes de la médiation dans un conflit inégal : une puissance militaire agressive face à un jeune Etat souverain, indépendant depuis 1991. S’il espérait que Kiev fasse plus de concessions que Moscou, il a compris les risques d’une solution dictée par l’état de fait militaire. Résoudre le conflit rapidement par un grand accord est improbable. Mais le laisser pourrir est dangereux, pour les Ukrainiens comme pour les Russes et tous les Européens. Car, en attaquant l’Ukraine il y a près de six ans, Moscou a ouvert une crise politique et sécuritaire au cœur de l’Europe. Les sanctions contre les responsables russes, votées et revotées tous les six mois par l’Union européenne, sont un rappel fort de notre engagement à ne pas condamner les habitants du Donbass à un « conflit gelé ».

La négociation permanente et transparente est la seule stratégie vers un accord de paix durable, incluant les bases d’une nouvelle administration dans les territoires aujourd’hui occupés. L’enseignement le plus important de ce sommet de Paris est qu’il est illusoire de chercher une entente avec Moscou en forçant la main des Ukrainiens.

Marie Mendras est politiste au CNRS et au Centre de recherches internationales (CERI), spécialiste de la Russie, enseignante à Sciences Po Paris.

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