La nouvelle politique de la BCE, un coup d’épée dans l’eau ?

Inquiète pour la croissance européenne, la Banque centrale européenne (BCE) déclenche en mars une nouvelle politique monétaire, dite « d’assouplissement quantitatif » (quantitative easing, QE), qui consistera à acheter, chaque mois, 60 milliards d’euros de titres de dette, jusqu’en septembre 2016.

Cette politique monétaire est dite « non-conventionnelle », car elle passe par le canal des marchés financiers au lieu de passer par les banques. Une relance monétaire conventionnelle consiste à faire baisser les taux courts, auxquels les banques se financent. Elle se transmet à l’économie réelle lorsque les banques, en concurrence entre elles, répercutent ces baisses sur les conditions de financement de l’investissement.

Or, depuis environ deux ans, cette courroie de transmission ne fonctionne plus : criblées de dettes, épuisées par le besoin d’éponger leurs propres pertes dans l’immobilier, découragées par leurs régulateurs de financer les États, les banques ne prêtent plus, quel que soit le coût de leur financement. D’où le tournant de ce mois de mars : puisque les banques ne font pas le travail, c’est la BCE qui prêtera elle-même directement aux États et au secteur privé en achetant leur dette. La taille du programme, 1 080 milliards d’euros, correspond à la moitié du bilan de BNP Paribas, la plus grande banque de la zone euro.

Mais les effets macroéconomiques recherchés – baisse de l’euro, baisse du coût de la dette publique, financement du secteur privé – seront en réalité limités.

Premièrement, la baisse de l’euro n’est pas liée à la nouvelle politique de la BCE, puisque la monnaie unique a commencé à perdre du terrain par rapport au dollar dès l’été 2014, soit six mois avant l’annonce de Mario Draghi. L’euro s’est déprécié parce que les investisseurs anticipent depuis longtemps une zone euro sur le fil de la déflation, alors que la croissance américaine reste forte, ce qui permet de prévoir une hausse des taux outre-Atlantique.

Il faut d’ailleurs relativiser cette dévaluation de l’euro : le taux euro-dollar est un point de fixation du débat, alors que les exportations à destination des États-Unis ne correspondent qu’à quelques pour-cent du produit intérieur brut (PIB) de la zone. Pondéré par les différentes destinations de nos exportations, l’euro ne s’est déprécié que de 4 % depuis l’été 2014. Un coup de pouce certes appréciable (de l’ordre d’un demi-point de PIB), mais pas décisif.

Soulagement modeste

Deuxièmement, l’impact des rachats de dette sur le coût de la dette publique est modeste. C’est ce qu’on a observé aux États-Unis pendant la crise financière. Arvind Krishnamurthy et Annette Vissing-Jorgensen ont par exemple montré que le QE de la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale) n’a fait baisser les taux d’intérêt que d’environ 1 %. Lorsque Mario Draghi a annoncé le QE de la BCE fin janvier, les taux européens n’ont baissé que de 0,3 % à 0,5 %.

Faible croissance oblige, les taux des emprunts longs étaient déjà très bas et n’ont pas vraiment de marge à la baisse, quelle que soit la puissance de l’arsenal déployé par la BCE. Le soulagement budgétaire supplémentaire pour les États sera donc modeste. Par exemple, dans les conditions actuelles, la charge d’intérêt de la dette en France n’est que de 2 %. Difficile de faire beaucoup moins.

Troisièmement, le canal de transmission au secteur privé de la nouvelle politique est très limité en Europe, car le financement de marché y est plus limité. Aux États-Unis, il faut rappeler que c’est le marché qui finance par exemple l’essentiel du secteur immobilier. Lorsqu’un ménage s’endette, les flux de remboursement futurs auxquels il s’engage sont « emballés » dans un titre de dette (on dit qu’ils sont « titrisés »), qui est ensuite vendu au marché. Ce sont en général les caisses de retraites (les fameux « fonds de pensions ») qui les achètent, avec, en plus, une garantie de l’Etat américain en cas de faillite du ménage concerné.

Ce circuit est l’artère vitale qui fait fonctionner le marché immobilier américain. Lorsque la crise a frappé, les investisseurs ont cessé d’acheter ces titres, bloquant le circuit de financement de l’immobilier et menaçant le secteur d’un effondrement total. En achetant ces titres, la Fed s’est trouvée dans la situation de prêteur de dernier ressort du secteur privé : une intervention nécessaire pour éviter la désorganisation totale de son financement. La situation européenne est très différente, puisque ce sont les banques qui sont au cœur du dispositif et que le circuit du marché est quasi inexistant.

Sur le plan macroéconomique, il ne faut donc pas attendre de miracle de la BCE. L’effet le plus fort sera probablement celui qui transitera par la baisse de l’euro, mais l’impact sur la croissance sera limité. En revanche, les annonces de Mario Draghi pourraient avoir un impact important sur la transformation du secteur financier européen, en stimulant l’émergence de la finance de marché sur le Vieux Continent. Mais cette évolution exigera la mise en place d’une surveillance accrue des marchés financiers par le régulateur européen.

David Thesmar, professeur d'économie à HEC Paris.

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