La paix est à réinventer d'urgence

Par Paul Quilès, député (PS) du Tarn, vice-président de la commission des Affaires étrangères, ancien ministre de la Défense (LIBERATION, 07/09/06):

Peut-on parler de retour à la paix au Liban ? De toute évidence, il s'agit seulement d'une trêve, une précaire «paix armée».Des forces israéliennes sont toujours présentes sur le territoire libanais. Israël impose au Liban un blocus qui compromet la reprise de son économie. Le soutien que les militants du Hezbollah ont trouvé auprès des chiites libanais ne semble pas s'être affaibli. Les deux soldats israéliens enlevés au début du conflit ne sont toujours pas libérés. Il n'existe pas encore, à la frontière syro-libanaise, de dispositif de surveillance garantissant qu'elle n'est pas franchie par des convois d'armements à destination du Hezbollah.

Dans un tel contexte, un incident peut à tout moment rallumer la guerre.

Un espoir existe cependant, celui de voir la nouvelle force internationale appuyer et consolider le retour à une situation plus stable. La France a indéniablement contribué à cet espoir en annonçant sa disponibilité à s'engager, alors que les Etats-Unis, paralysés par la guerre d'Irak et discrédités aux yeux des Arabes, ne le pouvaient pas. Outre ses relations traditionnelles de confiance avec le monde arabe, la France pouvait faire valoir ses liens historiques d'amitié avec le Liban et sa défense intransigeante de la sécurité d'Israël.

Mais pourquoi cette valse-hésitation, une fois la résolution 1 701 votée ? Pourquoi poser des conditions après s'être engagé ? N'aurait-il pas mieux valu négocier clairement, en amont, le mandat de la force et ses conditions de déploiement ? A l'origine, la France voulait une force capable d'imposer le respect d'un cessez-le-feu. Pourquoi a-t-elle cédé si facilement sur ce point à la pression américaine ? Une démarche européenne concertée, en particulier avec l'Italie, n'aurait-elle pas donné de meilleurs résultats que le dialogue que nous avons, peut-être par vanité, voulu conduire seuls avec les Etats-Unis ?

Il est regrettable que l'Europe fasse si peu entendre sa voix, alors qu'elle est la seule à pouvoir énoncer clairement les principes d'un règlement de la crise libanaise, à partir d'une approche globale et négociée des problèmes de la région. Sa participation majoritaire à la nouvelle Finul montre qu'elle peut être présente de façon significative sur le plan militaire quand elle le veut. Pourquoi les gouvernements ne manifestent-ils pas une volonté politique aussi forte lorsqu'il s'agit d'aller plus vite dans la construction de l'Europe de la défense ? Pourquoi, au lieu de juxtaposer au coup par coup des détachements nationaux, ne s'engage-t-on pas dans la construction d'une véritable armée européenne ?

Un mois a été perdu en transactions diplomatiques alors que les populations civiles libanaises et israéliennes «enduraient des souffrances et des pertes terribles et inutiles», selon Kofi Annan : au Liban, on compte plus d'un millier de tués, quelque 3 600 blessés, un million de déplacés, plus de 100 000 sans-abri, plus d'une centaine de ponts et 600 kilomètres de routes détruits. Quant aux Israéliens, ils ont fait à nouveau l'expérience de l'insécurité avec des dizaines de morts et de blessés civils et des centaines de milliers de personnes contraintes de se réfugier dans les abris ou de fuir.

Ce retard de la diplomatie ne s'explique que par la volonté américaine de laisser Israël poursuivre sans contrainte sa recherche d'une victoire militaire illusoire. Ce n'est que lorsque le coût humain et matériel du conflit est apparu insupportable et ses résultats médiocres en termes militaires, que le gouvernement de Fouad Siniora a été entendu et que la politique a pu reprendre ses droits.

Une fois de plus, comme en Bosnie, au Kosovo, voire au Rwanda et aujourd'hui au Darfour, les grandes puissances se sont enlisées dans leurs marchandages, sans prendre la mesure de la gravité de l'urgence humanitaire.

Une tâche prioritaire serait de doter l'ONU d'instruments de maintien de la paix plus efficaces. Des réflexions approfondies ont été menées sur la base de l'expérience des drames passés. Même si chacun sait que le diable est dans les détails, les questions du contenu du mandat, de la chaîne de commandement et des règles d'engagement ne sont pas nouvelles ! Peut-être la crise du Liban et la mise en place de la nouvelle Finul permettront-elles de nouveaux progrès, avec la constitution à l'ONU d'une cellule de planification stratégique et la création d'une chaîne de commandement opérationnel garantissant la réactivité de la force. En tout état de cause, les discussions sur ces thèmes auraient dû avoir lieu beaucoup plus tôt, car chaque jour qui passe sans qu'existe sur place une force d'interposition significative risque de mettre en cause une situation on ne peut plus fragile.

Au-delà de ces questions immédiates, ce qui vient de se passer au Liban montre un peu plus les hésitations des grandes puissances devant les désordres du Moyen-Orient. Il est devenu évident que le «culte de la force», qui anime les Etats-Unis, mais aussi Israël, n'apporte pas la bonne réponse. Il ne s'agit pas de rester inerte face à la provocation et au terrorisme. Mais la force ne peut être utilisée qu'en dernier recours, au service d'objectifs réalistes, reposant sur une analyse précise de la situation stratégique. Et le principe de proportionnalité de la riposte doit être respecté sous peine d'enclencher un cycle interminable de violences.

Dès lors que les moyens militaires sont inopérants, la négociation s'impose. Avec tous les acteurs, sans permettre qu'une organisation paramilitaire comme le Hezbollah usurpe les attributs d'un Etat, mais en reconnaissant que des mouvements non étatiques peuvent être porteurs d'aspirations politiques légitimes. Sur toutes les questions en litige, dans le respect des règles fondamentales de la sécurité internationale, comme la non-prolifération nucléaire ou le respect de la souveraineté des Etats.

L'affaire du nucléaire iranien risque à nouveau de souligner les incohérences des grandes puissances. Comment agir face à la détermination de l'Iran d'accéder à la capacité nucléaire dès lors que l'action violente semble rédhibitoire et que les sanctions économiques présentent des risques graves ? N'oublions pas que l'Iran est le 4e producteur mondial de pétrole et que 20 % du brut mondial transite par le détroit d'Ormuz !

Face à la diversité, mais aussi à l'interdépendance des conflits du Moyen-Orient, il serait vain d'en rester à des décisions et à des actions ponctuelles et cloisonnées, alimentées par un discours idéologique sur le terrorisme et l'islamisme. Ce qu'il faut, c'est définir une stratégie globale et cohérente de paix, de coopération économique et d'appui à la réforme politique. C'était peut-être l'idée de George W. Bush avec son «Grand Moyen-Orient», mais l'aventure irakienne a montré l'absurdité d'un plan destiné à apporter la démocratie aux pays situés sur l'arc allant du Maroc à l'Afghanistan en s'appuyant principalement sur l'action militaire. De tout cela, il est important de débattre. Hélas, le fonctionnement et la pratique de la Ve République ne conduisent pas à saisir en temps utile le Parlement d'un conflit de l'ampleur de la guerre du Liban. Il aura fallu attendre deux mois pour que Jacques Chirac annonce un «débat» (prévu aujourd'hui), qui n'est en fait qu'un trompe l'oeil. De nouvelles procédures parlementaires sont à inventer, touchant à l'autorisation des interventions militaires, au suivi de la négociation et de l'application des traités ou accords ayant des incidences directes en matière de défense, au contrôle du renseignement. Ainsi le Parlement pourra-t-il surmonter le déficit d'information dont il souffre aujourd'hui sur les grandes questions de sécurité internationale. Les questions de la guerre et de la paix pourront alors être examinées en pleine transparence, et l'engagement des soldats français relèvera, non plus d'un seul, mais de l'ensemble des représentants de la Nation.