La perception que les banques centrales ne sont plus indépendantes risque d’affaiblir l’efficacité de leur politique

L’indépendance des banques centrales est désormais derrière nous. Ceci est non seulement vrai pour les pays émergents tels que la Turquie, où le président Erdogan vient de limoger le gouverneur de la banque centrale car il avait maintenu les taux d’intérêt à un niveau trop élevé pendant trop longtemps, mais également pour des nations riches telles que les Etats-Unis.

Encore tout récemment, le président Donald Trump a poursuivi ses attaques contre la Réserve fédérale (Fed) en la qualifiant de « notre problème le plus difficile » et en tweetant « notre Réserve fédérale n’a pas la moindre idée ». Ces attaques doivent être prises au sérieux car elles sont le symptôme d’une tendance sous-jacente : dans un monde marqué par la montée du populisme, des pressions désinflationnistes, des taux bas voire négatifs et des bilans gonflés des banques centrales, une politique monétaire indépendante ressemble de plus en plus à un modèle dépassé.

En réalité, le défi posé par l’indépendance des banques centrales existe depuis un certain temps et il est antérieur à la présidence Trump. Il est facile d’oublier que pendant la majeure partie de leur histoire, les banques centrales n’ont pas été libres de mener la politique monétaire. Au contraire, le concept d’indépendance est un concept relativement nouveau. Dans la grande majorité des cas, les banques centrales au sein du monde développé ont gagné la liberté de fixer les taux d’intérêt seulement à partir des années 1980, voire aussi récemment que dans les années 1990.

L’objectif poursuivi en rendant les banques centrales indépendantes était d’améliorer la crédibilité du ciblage de l’inflation, devenu le pivot de la politiq ue monétaire après l’abandon de l’étalon-or et la grande inflation qui a sévi dans les années 1970 et le début des années 1980. Une inflation élevée et volatile était devenue l’ennemie principale de l’économie et la solution était d’axer la politique monétaire exclusivement sur la stabilisation de l’inflation à des niveaux bas, l’indépendance rendant cet objectif plus facile à atteindre.

Le principal ennemi

Depuis une douzaine d’années, cependant, le principal ennemi n’est plus l’inflation, mais les pressions déflationnistes, le surendettement et l’instabilité financière. Dans un tel environnement, le besoin, ou le désir, de défendre leur indépendance a, sans doute, souvent empêché les banques centrales de résoudre rapidement ces problèmes de la façon la plus directe et efficace possible en coopération avec les gouvernements, sous forme d’« helicopter money » [distribution de monnaie par « hélicoptère »] ou d’action manifeste de prêteur de dernier ressort pour financer les institutions financières ou les états en difficulté.

Au lieu de cela, elles ont déployé des interventions de second choix, telles que l’assouplissement quantitatif [le quantitative easing en anglais, ou QE, rachats de dettes publiques et privées] et une politique des taux d’intérêt négatifs avec de nombreux effets secondaires. Ces mesures ont donc alimenté les critiques des deux côtés du spectre politique, réduisant ainsi le soutien public à l’indépendance des banques centrales, soutien dont elles sont fondamentalement tributaires.

L’indépendance des banques centrales est donc, désormais, largement érodée. Que ce soit aux Etats-Unis où la Fed de Jerome Powell subit régulièrement la foudre d’un président qui a besoin d’une économie solide pour être réélu en 2020, ou au Japon où la banque centrale détient désormais près de la moitié de l’encours des obligations émises par le gouvernement japonais, situation qui, associée à une inflation sans cesse bien en dessous de son objectif, rend pratiquement inconcevable une hausse des taux d’intérêt.

Quant à la Banque centrale européenne (BCE), même si elle est sur le plan légal la banque centrale la plus indépendante au monde, elle reste en définitive « politique », au sens où elle doit toujours préserver l’intégrité de la zone euro, comme Mario Draghi [son président sortant] l’a fait avec son « nous mettrons tout en œuvre » il y a exactement sept ans.

Une nouvelle « normalité »

La récente nomination de Christine Lagarde pour lui succéder poursuit la même logique : en tant qu’ancienne avocate, ministre française des finances et directrice du Fonds monétaire international (FMI), elle a une vaste expérience du secteur privé, des arcanes politiques et internationaux, connaît tout sur les stratégies anti-crises, a montré sa capacité à écouter et à apprendre au sein de ses diverses fonctions et parle le même langage que les chefs d’Etats et les ministres des finances.

La perception que les banques centrales ne sont plus complètement indépendantes va compliquer sérieusement leur travail et risque d’affaiblir l’efficacité de leur politique. Aux Etats-Unis, les attaques frontales à l’encontre du président Powell et de ses collègues, et les appels répétés du président Trump et d’autres membres de son administration en faveur de baisses de taux et d’un assouplissement quantitatif mettent la Fed dans une situation impossible. Il y a un risque, c’est qu’afin de prouver son indépendance de toute interférence, la Fed maintienne une politique plus resserrée que ne le prévoient les objectifs fixés dans son mandat.

A l’inverse, dans le cas et au moment où la Fed baissera ses taux d’intérêt, certains observateurs pourraient être tentés de penser que cela reflète les pressions politiques plutôt que l’évaluation des risques économiques. Ainsi, quoique la Fed fasse ou ne fasse pas, l’agressivité du président pour des motifs politiques sert à décrédibiliser l’institution et potentiellement plus qu’à la marge.

La Réserve fédérale américaine se trouve dans une situation sans issue, compte tenu des attaques déplorables et répétées de l’administration Trump. Pourtant, ceci n’est que le reflet purement symptomatique d’une tendance plus profonde : l’érosion de l’indépendance des banques centrales, qui ressemble de plus en plus à un bref épisode historique ayant culminé au tournant du siècle dernier. Il va falloir s’habituer à cette nouvelle « normalité » : des banques centrales dépendantes, des taux d’intérêt perpétuellement bas et l’assouplissement quantitatif !

Joachim Fels (Conseiller économique mondial chez Pimco (Pacific Investment Management Company), fonds obligataire basé à Newport Beach, Californie)

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