La peur de l'autre, ça suffit !

De retour d'un séjour en Egypte et le long de la frontière Libyenne, les déclarations des dirigeants français et d'autres pays européens faisant un lien entre les révolutions arabes et une possible vague d'immigration clandestine submergeant l'Europe sont particulièrement choquantes. Les représentations publiques qu'elles cherchent à véhiculer, tant de la crise qui se déroule, que des personnes fuyant la guerre qui sont présentés comme des "clandestins", ne correspondent pourtant pas à la réalité observée.

D'abord, aujourd'hui, ceux qui fuient la Libye sont des ressortissants étrangers, travailleurs souvent très pauvres et peu qualifiés (comme il y en a dans tous les pays de la région), qui cherchent juste à fuir la guerre en Libye, et les violences ou discriminations dont ils y font l'objet. Ils ne cherchent qu'à rentrer chez eux, alors qu'ils ont quasiment tout perdu et ont été victimes de violences.

D'autre part, et c'est à noter, en Grèce ou en Turquie, ou Médecins du monde est présent auprès de ces travailleurs migrants, aucune supposée nouvelle "vague" d'immigration massive n'est observée qui serait directement liée aux événements politiques dans les pays des côtes sud de la Méditerranée. Et l'arrivée récente et médiatisée de jeunes tunisiens sur l'île de Lampedusa ne permet pas de tirer des conclusions inverses.

Deuxièmement, les déclarations de nos gouvernements européens nient une autre réalité très simple. En situation de conflit, le droit de fuite des populations civiles existe et est reconnu par le droit international, afin de chercher refuge hors des frontières d'un pays livré à la violence. A ce stade, le nombre de libyens ayant quitté leur pays est faible. Tout juste quelques milliers. Mais si les violences se poursuivent et faute de pouvoir leur venir en aide chez eux, peut-être observera-t-on plus de personnes tentées de chercher refuge dans les pays limitrophes. Il faudra alors leur porter assistance en tant que réfugiés, et certainement pas les présenter comme des "clandestins".

De la même façon, certains travailleurs étrangers qui fuient la Libye doivent être protégés. Il faut noter la situation particulière de nombreux ressortissants étrangers en fuite qui ne pourront pas retourner dans leur pays d'origine, lui ravagé par la guerre (Somalie, Côte d'Ivoire par exemple). Que faut-il envisager pour eux ? Certes, ils sont moins nombreux que les égyptiens et les tunisiens, mais les Nations unies doivent renforcer leur protection.

INSULTE

Au lieu d'agiter la peur de l'autre, il convient aussi de rappeler les règles qui s'imposent à tous les acteurs armés en situation de conflit dans la façon dont ils mènent les hostilités, et l'obligation qui est la leur de préserver les vies civiles et de respecter les missions médicales. A ce stade, l'accès des organisations de secours reste limité, au risque demain de voir la situation humanitaire se détériorer. L'enjeu de protection des populations civiles doit rester central dans la façon d'appréhender la crise en Libye.

Dernier point, vu du Caire, ou de la région, les déclarations de nos dirigeants européens apparaissent pour le visiteur étranger mais aussi pour bon nombre de personnes vivant ici, une insulte aux révolutions en cours au sud de la méditerranée, à cet élan de liberté et de changement qui souffle en Egypte, en Tunisie et en Libye en particulier ; une insulte à cette jeunesse qui a décidé de prendre son destin en main, et de refuser l'oppression de régimes corrompus et ne répondant pas aux attentes de leur population. Croyez-vous que les manifestants de la place Tahir ont envie de quitter leur pays ? Moi, pas. Leur détermination est forte et intacte, même si l'avenir politique reste incertain.

Tout cela pour dire que l'agenda préélectoral a pris le pas sur une analyse rationnelle des faits. C'est juste choquant et très inquiétant sur la façon dont nos dirigeants appréhendent le monde en jouant sur la peur de l'autre.

Par Pierre Salignon, directeur général à l'action humanitaire, Médecins du monde.

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