La politique énergétique a besoin de plus d’Europe

Malgré les avancées enregistrées ces dernières années, la politique de l’Union européenne en matière énergétique n’a pas réussi à atteindre ses principaux objectifs, qui sont d’assurer un accès à une énergie d’un prix raisonnable et stable, de préserver la compétitivité de l’industrie européenne, de garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique de tous les Européens, où qu’ils habitent, et de promouvoir un modèle durable de production, de transport, de distribution, de stockage et de consommation de l’énergie qui nous fasse franchir un pas décisif vers une société à faibles émissions de carbone.

Si ces objectifs recueillent une adhésion générale, chez les hommes politiques comme auprès de la société civile, des fournisseurs d’énergie et des entreprises jusqu’aux syndicats, aux consommateurs et aux défenseurs de l’environnement, c’est sur la manière de les réaliser que les avis diffèrent.

Les politiques énergétiques nationales ont montré leurs limites; or, il n’y a pas encore de politique européenne commune de l’énergie pour les surmonter. En dépit des promesses faites par nombre de gouvernements, les prix de l’énergie ont flambé ces dernières années et, par voie de conséquence, la précarité énergétique s’est faite plus pressante que jamais. L’hiver dernier, entre 50 et 125 millions d’Européens ont été placés en situation de détresse à cause du renchérissement des combustibles, qu’ils aient eu à subir des coupures de chauffage, en aient été menacés ou aient été incapables d’acquitter leurs factures. Les pays de l’UE n’ont pas su réagir à cette situation comme il eût été nécessaire.

Les Etats membres de l’UE ont tissé des liens d’interdépendance si serrés que faire cavalier seul est pour eux désormais un choix impraticable. Comme on a pu le voir récemment, par exemple avec la sortie de l’énergie nucléaire décidée par certains d’entre eux, ils peuvent certes appuyer souverainement certains choix en matière d’approvisionnement énergétique, mais à quel prix! De telles décisions unilatérales augmentent le risque de divergences et peuvent entraîner les tarifs dans des mouvements de hausse ou dans des turbulences, comme dans le domaine de la production et de la consommation d’énergie à l’échelle régionale, pour ne considérer que ces deux aspects. Aujourd’hui, aucun pays européen n’est en mesure d’assurer par ses seuls moyens un approvisionnement énergétique fiable et abordable à ses citoyens.

Il faut en finir avec cette myopie politique. Présenter un front uni constitue la seule manière pour les pays européens de répondre aux préoccupations des citoyens et de garantir la prévalence des intérêts de l’Europe. Si la volonté politique représente, bien entendu, une des données du problème, elle n’en est pas le seul paramètre. Premièrement, nous n’avons pas entièrement tiré parti des possibilités que recèle le marché unique pour renforcer la sécurité énergétique et apporter une valeur ajoutée aux citoyens. Deuxièmement, la solidarité entre les Etats membres est expressément prévue par le Traité de Lisbonne mais est restée lettre morte dans le cadre institutionnel actuel. Troisièmement, l’Union européenne ne dispose pas des moyens requis pour financer des actions de grande envergure ou imposer des choix touchant aux sources d’énergie. En comparaison des montants consacrés à l’énergie par les Etats membres, le budget annuel dont l’UE dispose pour ce secteur apparaît dérisoire et limite sérieusement les financements alloués aux actions communes d’interconnexion des réseaux électriques et gaziers ou aux recherches conjointes sur la production énergétique à faibles émissions de carbone. Aussi est-il capital de doter l’Union de ressources financières indépendantes et autonomes pour financer des projets d’intérêt européen, en particulier ceux qui touchent aux énergies renouvelables. Quatrièmement, il devrait aller de soi que les citoyens soient pleinement associés à une problématique comme l’énergie, qui est d’une telle d’actualité et si lourde de conséquences pour la société. Il est profondément inquiétant de constater qu’en la matière aucun dialogue structuré n’a été noué entre les auteurs des politiques et décisions énergétiques et la société civile européenne.

Une nouvelle approche s’impose, qui visera à approfondir l’intégration et la solidarité. La voie la plus ambitieuse – et la plus prometteuse – est de mettre en place une Communauté européenne de l’énergie en bonne et due forme, qui couvrirait tous les aspects de la question, économiques, politiques et stratégiques. Cela impliquerait notamment que l’Europe intègre ses marchés de l’énergie, coordonne les politiques de recherche, les décisions d’investissement et les mécanismes de solidarité et s’oblige à parler d’une seule voix sur la scène mondiale. Toute cette entreprise requiert une vigoureuse approche supranationale.

Il est dès à présent possible de poser en ce sens de solides jalons, qui vont d’une intégration plus poussée des marchés nationaux de l’énergie jusqu’à une planification commune des réseaux axant la politique énergétique sur les consommateurs, pour ne citer que ces deux exemples. C’est ainsi que nous lançons un appel pour que la composition du bouquet énergétique soit progressivement soumise à une «européanisation» indispensable pour accroître la part des énergies renouvelables dans le bouquet de chaque pays. En matière de choix et d’investissements énergétiques, l’Europe ne peut se permettre d’attendre encore: les grandes décisions que nous prenons au­jour­d’hui induisent des enga­gements étalés sur plusieurs ­décennies. Le développement progressif d’une Communauté européenne de l’énergie est susceptible de remobiliser les Européens autour d’un projet qui, à leurs yeux, présente une valeur ajoutée tout à fait claire et, surtout, qui répondra à leurs attentes et inquiétudes, telles qu’elles se dégagent de récentes enquêtes d’opinion.

Dans la mesure où les choix arrêtés en matière d’énergie ont des répercussions dans tous les domaines de la société, le grand public ne peut être tenu à l’écart du débat sur les mutations structurelles qui nous attendent. Le Comité économique et social européen et le think tank Notre Europe militent pour que cet échange se déroule au niveau de l’UE et ils proposent la création d’un forum de la société civile européenne qui serait chargé de suivre les questions énergétiques. Nous appelons la Commission européenne à jouer un rôle bien plus étendu pour tracer les contours d’une politique énergétique cohérente, crédible et efficace, qui jette les bases d’une Communauté européenne de l’énergie. En matière d’énergie, l’action purement nationale n’a plus de pertinence et c’est au niveau européen que nous pourrons le mieux réussir à façonner un système énergétique qui soit durable, capable de rebondir et tourné vers l’avenir.

Par Jacques Delors et Staffan Nilsson.

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