La presse nigérienne lutte pour la démocratie

Alors que le monde observe, navré, la crise politique actuelle au Niger, pays parmi les plus pauvres du monde qui n’avait - comme le disait son président Mamadou Tandja jusqu’à récemment - «que la démocratie à vendre», la presse de ce pays lutte avec courage, détermination et créativité contre un projet politique qu’elle analyse comme un recul démocratique, à l’instar de la majorité des partis et de la société civile.

La presse et ses responsables, livrent aujourd’hui une sourde bataille, feutrée, sans violence, contre les tentations autoritaires d’un pouvoir en fin de mandat. Et l’on est impressionné par la capacité de résistance d’une jeune démocratie qui a su, en dix ans, se doter d’institutions courageuses pour manifester, déjà, des réflexes vigoureux de vitalité.

Le deuxième mandat du président Mamadou Tandja expire le 22 décembre, et la constitution ne lui permet pas de se représenter. Poussé par ses partisans, il a donc décidé de soumettre au peuple, par un référendum, le 4 août, une nouvelle constitution qui le maintiendrait à la tête du pays durant les trois prochaines années. Dans ce dessein, le chef de l’Etat a successivement dissous l’Assemblée nationale puis la Cour constitutionnelle, et gouverne désormais par ordonnances.

La presse, au Niger, c’est quelque 45 journaux - pour la plupart hebdomadaires, d’une faible diffusion mais d’une totale liberté de ton -, 18 radios commerciales et 4 télévisions privées extrêmement écoutées. Tous ces médias rendent compte, quotidiennement, de l’actualité politique. C’est avec eux qu’on a suivi ces deux dernières années les affrontements dans le nord du pays et les négociations secrètes avec les rebelles. C’est avec eux qu’on a assisté à l’implosion du parti majoritaire dans le conflit entre les deux têtes de l’exécutif, qu’on a observé la chute de l’ancien Premier ministre Hama Amadou, démis et poursuivi en justice avant de créer son propre parti. C’est avec eux qu’on vit désormais au rythme des meetings, batailles juridiques, journées villes mortes, grèves, démissions en cascades, remaniements, déclarations à la Nation.

Quoi qu’on pense de son niveau, et malgré de nombreuses pressions et des moyens précaires, la presse indépendante permet au public nigérien de jouir de son droit à l’information. Les professionnels des médias ont démontré par ailleurs leur capacité à s’organiser au sein d’une structure confraternelle, la maison de la presse, qui regroupe toutes les associations du secteur. Ils ont établi, depuis plusieurs mois déjà, qu’ils étaient capables de mener des luttes collectives pour défendre leurs libertés.

Ces dernières semaines ont été le théâtre d’un conflit entre les organisations de médias et l’autorité de régulation, le Conseil supérieur de la communication (CSC). Le 29 juin, la radio et télévision privée Dounia a été suspendue «jusqu’à nouvel ordre», après avoir diffusé une déclaration du chef de l’opposition nigérienne, appelant les membres des forces de sécurité à «refuser d’obéir aux ordres d’un homme qui a pris l’option délibérée de violer la constitution». Le même jour, six conseillers du CSC se désolidarisent de leur président - ami personnel du chef de l’Etat et nommé par lui. Le tribunal donne raison à Dounia, qui reprend ses programmes.

Une semaine plus tard, le président Mamadou Tandja, usant de ses pouvoirs exceptionnels, modifie la loi : le président du CSC peut désormais sanctionner seul «tout organe de presse qui diffuserait ou publierait une information susceptible de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la sûreté de l’Etat».

Les organisations socioprofessionnelles des médias dénoncent immédiatement cette «inféodation du CSC à l’autorité politique», condamnent les pressions du ministre de la Communication et appellent «à la confraternité en vue de barrer la route aux prédateurs de la liberté de la presse». Le 14 juillet, elles franchissent un pas de plus et décident une semaine sans presse écrite, du 20 au 25 juillet, une journée sans radio et télévision le 21 juillet.

Enfin, mettant le doigt sur les violations de la loi et se substituant, finalement, à l’autorité de régulation, les journalistes nigériens ont réalisé une enquête (1) saisissante sur l’accès aux médias publics, dont il résulte que, pendant la semaine du 8 au 14 juin, tandis que les partisans du référendum jouissaient de 121 minutes d’antenne au journal télévisé de la chaîne nationale, de 97 minutes au journal des régions, de 116 minutes sur la Voix du Sahel et de deux pages et demi dans la presse publique, les adversaires du référendum n’avaient disposé, eux, que de 1 minute 50 secondes en tout et pour tout pour s’exprimer. A travers la large publication de ce baromètre, les journalistes démontrent leur capacité d’initiative et prennent à partie les dirigeants des médias publics, mais ils interpellent aussi la démocratie nigérienne au sens large pour la rappeler à ses propres textes, régulièrement violés depuis quelques semaines.

Aïr Info, bimensuel régional du nord du Niger, fêtait le 30 juin son centième numéro en ces termes : «Nous n’avons eu de cesse d’apporter notre modeste contribution au seul combat qui vaille aujourd’hui : celui d’une société démocratique fière de ses valeurs. Fragile mais coriace, votre journal, malgré les difficultés de toutes sortes, a tenu et tiendra le cap, ne demandant pour tout nutriment que votre confiance et votre soutien.»

Fragile mais coriace. Ces deux termes apparemment antagonistes résument bien, finalement, l’état de la presse et des journalistes nigériens qui contribuent de façon pacifique, inventive, exigeante et décisive à la résistance pleine de ressort de la jeune démocratie nigérienne.

(1) Baromètre réalisé à Niamey par le réseau des journalistes pour les droits de l’homme.

Marie-Françoise Roy, vice-présidente de Contrechamps, Jean-Louis Saporito, président de Contrechamps (association de soutien aux journalistes à l’étranger) et membre du conseil d’administration de Reporters sans frontières, et Agnès Faivre, secrétaire générale de Contrechamps, association de soutien aux journalistes à l’étranger.