La preuve par Syriza

C’est une séquence, une belle et passionnante séquence qui pourrait bien augurer d’un changement d’ère, et pas seulement en Europe. Mardi dernier, dans son discours sur l’état de l’Union, Barack Obama devenait le premier président américain à rompre avec les dogmes néolibéraux qui s’étaient imposés il y a trente-cinq ans aux Etats-Unis avant de partout triompher dans le monde. Jeudi, Mario Draghi annonçait que la Banque centrale européenne allait racheter pour plus d’un milliard d’euros d’obligations d’Etat. Dimanche, enfin, Alexis Tsipras, conduisait à la victoire une nouvelle gauche dont le programme est de renégocier le remboursement de la dette grecque et d’en finir, en Grèce puis dans toute l’Europe, avec des politiques aussi cruelles que contre-productives car uniquement axées sur le rétablissement des comptes publics.

Barack Obama est ce qu’il y a de plus proche, en Amérique, des sociaux-démocrates européens. Mario Draghi est un libéral, pragmatique mais essentiellement libéral. Alexis Tsipras vient de l’altermondialisme. Il n’y a rien de commun entre ces trois hommes sauf qu’ils constatent tous, aujourd’hui, là où ils sont, que les dogmes libéraux ont mené à une déréglementation dont le plus spectaculaire résultat fut la crise de Wall Street, qu’ils ont créé d’insoutenables inégalités sociales, réduit le poids des classes moyennes et conduit l’Europe au bord de la déflation.

Ce n’est pas que le néolibéralisme n’ait rien apporté au monde et, moins encore, qu’il soit le simple fruit d’un complot des plus riches. S’il est devenu une idéologie aussi dominante - comme le keynésianisme l’avait été de la fin de la guerre à l’élection de Margaret Thatcher - c’est d’abord que les classes moyennes occidentales des années 70 étaient entrées en révolte fiscale. Accablées de charges et d’impôts, elles ne voulaient plus financer, plus autant en tout cas, cette protection sociale et ces investissements d’avenir qui avaient pourtant fait leur ascension. C’est ce qui avait mis les gauches occidentales dans une difficulté dont elles ne sont pas encore sorties et la seconde raison du succès des néolibéraux était qu’on arrivait à la fin d’un cycle industriel. Les nouvelles technologies devaient prendre le relais de l’industrie lourde et il fallait libérer, pour cela, les nouveaux entrepreneurs de contraintes fiscales et sociales que de jeunes industries ne pouvaient pas encore assumer.

Le néolibéralisme a porté une nouvelle révolution industrielle et permis l’essor des pays émergents mais, maintenant que cela est fait et que la déréglementation permet aux multinationales d’échapper ou presque à l’impôt, on voit aussi, et dénonce beaucoup plus largement qu’hier, les dégâts des dogmes thatchériens, du «trop d’impôt tue l’impôt», de «l’Etat n’est pas la solution mais le problème» ou du «plus les riches sont riches, mieux chacun se porte».

La lutte contre les paradis fiscaux s’est développée depuis 2008, bien trop lentement mais considérablement. La prochaine présidentielle américaine se jouera autour de l’idée, défendue mardi par Barack Obama, d’une plus grande justice fiscale et, donc, d’une augmentation des impôts sur les plus riches. La partie ne sera pas facile pour les Républicains et, en Europe, le triomphe électoral de Syriza vient montrer que, bien au-delà des gauches, le rejet du tout-austérité peut et va constituer de nouvelles majorités politiques.

Sur la lancée du tournant amorcé, à la fois, par les rachats d’obligation de la Banque centrale européenne (BCE) et le plan de relance de la nouvelle Commission, ce sont de nouvelles politiques économiques européennes qui s’annoncent et, déjà, se mettent en place. Le rééquilibrage des comptes publics va se poursuivre mais à un rythme moins aberrant et s’accompagner - c’est l’essentiel - de politiques de relance, nationales et paneuropéennes.

Tant mieux. Mieux vaut tard que jamais car c’est la meilleure chose qui pouvait arriver aux Européens et à leur économie, mais ce n’est pas tout.

Politiquement aussi, ce changement de cap modifiera la donne du tout au tout. Hier encore totalement isolés et impuissants dans une Europe majoritairement libérale-conservatrice, les sociaux-démocrates trouvent aujourd’hui de nouveaux alliés pour faire bouger les choses, en Grèce comme à la BCE ou à la Commission.

Nouvelles et anciennes, les gauches auront maintenant tôt fait de reprendre du poids dans l’Union et ce faisceau de convergences va également changer la perception de l’Europe par les Européens.

Toujours plus nombreux, hier, à assimiler l’Union à ses politiques du moment, ils vont découvrir que, non, l’unité européenne n’est pas en elle-même un projet libéral et que ses politiques comme l’interprétation de ses traités sont susceptibles de profondes évolutions en fonction de réalités qui font loi et des votes, nationaux et paneuropéens, des citoyens de l’Union. Ce n’est qu’un début, mais que la séquence est belle.

Bernard Guetta

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