La question animale : un enjeu pour les élections européennes

L'amélioration de la condition animale n'est pas seulement un objectif moral. C'est aussi une question politique parce que les animaux sont impliqués dans la plupart des activités débattues au niveau national comme au niveau européen, qu'il s'agisse de l'élevage, de l'agriculture, de l'alimentation, de l'expérimentation ou des loisirs. Ce que nous nous autorisons à faire sur eux, les limites que nous traçons au pouvoir que nous nous octroyons sur ces êtres sensibles que nous avons domestiqués, que nous chassons ou capturons et avec lesquels nous partageons les ressources de la Terre témoignent de la manière dont nous pensons la justice. Ou bien nous estimons que notre droit sur les autres vivants est absolu ou bien nous reconnaissons qu'il est injuste de détenir un animal en lui imposant des conditions de vie incompatibles avec ses besoins de base et avec les normes de son espèce. Le rapport aux animaux est le miroir d'une humanité qui se regarde dans l'usage qu'elle fait des autres vivants et se juge ainsi elle-même.

Ni les porcelets castrés à vif ni les poulets des élevages industriels ne pourront nous traîner devant les tribunaux pour nous accuser. Ils ne se vengeront pas, car ils n'ont pas la mémoire des tortures infligées à leurs prédécesseurs. Les animaux ne parlent pas et ils ne peuvent pas être représentés au même titre que les humains qui, élisant des femmes et des hommes censés défendre leurs intérêts, peuvent les congédier en cessant de voter pour eux. La légitimité de la représentation tient à ce pouvoir qu'a le représenté de contester ses représentants. Cela ne peut être possible pour les animaux. Mais d'une certaine manière, cela n'est plus nécessaire.

Des associations de protection animale se constituent parties civiles et représentent ainsi les animaux lors des procès intentés contre ceux qui les maltraitent. Des militants révèlent sur la place publique une vérité souvent cachée aux consommateurs. Des philosophes dont les livres font entendre le cri des bêtes et l'appel d'une conscience humaine blessée par tout ce mal commis soulignent la richesse de leur vie sociale et psychique ou construisent une théorie politique intégrant leurs intérêts à la définition du bien commun. De plus en plus de citoyens français et européens déclarent être concernés par le sort des milliards d'êtres élevés et tués pour leur chair et réduits à l'état d'esclaves. Comment, dans ces conditions, la question animale ne serait-elle pas une question politique et même une force politique pouvant peser dans toutes les élections ?

Nous ne demandons pas la création, comme cela existe dans certains pays européens, d'un parti politique pour les animaux. Nous demandons que chaque parti et que chaque candidat aux élections s'engagent clairement en faveur des animaux. Nous n'oublions pas qu'en politique, il s'agit d'arriver à un accord sur fond de désaccords et à des négociations devant convenir à plusieurs acteurs ayant des intérêts et des points de vue divergents. Mais nous exigeons que l'amélioration de la condition animale soit un enjeu transversal examiné chaque fois que se décide une politique.

La politisation de la question animale ne peut se limiter à des déclarations témoignant du fait que le bien-être animal est une valeur consacrée en Europe, comme on le voit à l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union. Les textes ne suffisent pas. Des actions concrètes et un réel engagement de la part des eurodéputés sont nécessaires. Or il est impossible de ne pas éprouver une profonde déception après la mandature qui s'achève quand on constate les positions des eurodéputés sur cette question. La plupart d'entre eux se prononcent contre la limitation du temps de transport des animaux destinés à l'abattoir et contre le renforcement de la protection de ceux qui sont utilisés pour l'expérimentation.

A l'exception des Verts, du Modem et de Cap 21, ils ont voté contre l'interdiction du chalutage en eaux profondes. Ils ne semblent prêts à faire un geste en faveur des animaux que lorsqu'il s'agit des animaux de compagnie. Pourtant, à quelques jours des élections européennes, nous sommes nombreux à espérer que l'amélioration des conditions de vie de tous les animaux devienne un objectif pris au sérieux par nos représentants. Nous leur demandons de porter ce projet, sinon pour les animaux, du moins pour tous ceux qui attendent aussi cela de l'Union européenne.

Par Corine Pelluchon, Philosophe, Professeure à l'université de Franche-Comté.

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