La rébellion syrienne phagocytée par le jihad

La guerre en Syrie va-t-elle bientôt se résumer à un face-à-face entre les groupes islamistes radicaux et le régime de Bachar al-Assad ? Deux ans et demi après le début de la révolution, la dérive islamiste a pris une telle ampleur que le chef de la Coalition nationale de l’opposition, Ahmed al-Jarba, s’en est alarmé vendredi, accusant même les jihadistes étrangers d’avoir «volé la révolution».

Le tournant s’est produit à Homs, pendant l’hiver 2012. Assiégée depuis sept mois, la ville, qui est alors l’épicentre de la révolution, est défendue par des brigades de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’ont pas un agenda islamiste. Mais la violence des bombardements qui vont anéantir des quartiers entiers, dont celui emblématique de Bab Amro, les exactions terribles des chabiha, ces milices de voyous chargées des basses œuvres du régime, l’impuissance de l’opposition à venir en aide à la population, vont provoquer une radicalisation de certains groupes, encouragée par la quasi-indifférence des pays arabes et occidentaux pendant la longue agonie de la cité. A cette époque, on voit apparaître un communiqué signé d’un certain Abou al-Homsi : un appel au massacre de la communauté alaouite de la ville. De révolution, la crise syrienne a commencé à muter en guerre civile.

Aguerris. Depuis, la mouvance islamiste n’a cessé de gagner du terrain. Elle a pris plusieurs formes. Elle est d’abord présente, à côté de brigades moins religieuses, au sein même de l’ASL, formée au départ par des officiers déserteurs des forces loyalistes. Hors l’ASL, on compte aussi nombre de formations armées dont l’agenda est tout autant la chute du régime d’Al-Assad que l’instauration d’une république islamique pure et dure. Elles ont été rejointes par des milliers de combattants arabes et occidentaux, dont 130 Français.

«Le phénomène de l’extrémisme est apparu avec le soutien et la planification du régime, qui a parié sur la transformation de la révolution de la liberté en une guerre civile et confessionnelle», a encore affirmé Ahmad Jarba dans un communiqué. Certes, mais il oublie de dire que l’Armée syrienne libre, incapable de la moindre réflexion stratégique, a d’abord accueilli à bras ouverts tous ces groupes radicaux et jihadistes, dotés de meilleures armes, aguerris au combat et prêts à se battre jusqu’à leur dernier souffle. Aujourd’hui, elle déchante. Désormais, l’ASL et les formations les plus radicales sont à couteaux tirés.

La dérive extrémiste des rebelles se confirme tous les jours davantage. Le quotidien Al-Hayat, proche de l’Arabie Saoudite, a rapporté vendredi que les chefs de plusieurs groupes armés et hommes de religion dans le nord de la Syrie étudient la possibilité d’unifier leur rang dans le cadre de «l’Armée de Mahomet», qui compterait 50 000 hommes et «regrouperait uniquement les fils de la communauté sunnite». Cette information intervient quelques jours après que 13 influents groupes rebelles extrémistes, dont certains faisant partie de l’ASL, ont annoncé qu’ils rompaient leurs liens avec l’opposition politique en exil et formaient une nouvelle alliance avec un groupe lié à Al-Qaeda. Parmi les signataires du texte, on trouve les groupes les plus puissants d’Alep, dont la brigade Al-Tohwid, liée à l’ASL, mais aussi les salafistes d’Ahrar al-Sham et les jihadistes du Front al-Nusra. Tout en affirmant que la loi islamique doit être «la seule source de la législation», ils ont annoncé la rupture de tout lien avec la Coalition nationale, censée fédérer l’opposition depuis l’étranger. Ce rejet était formulé depuis plusieurs mois sur le terrain par la plupart des combattants et de leurs chefs. Il est désormais officiel.

Munitions. Ces lignes de fracture favorisent évidemment le régime, notamment dans le nord, où hormis au nord de Lattaquié, les fronts sont figés depuis plusieurs mois. A Alep, la deuxième cité du pays, contrôlée aux trois quarts par l’opposition, rebelles et soldats du régime s’affrontent toujours, y compris dans la vieille ville. Mais à cause du manque de munitions, les rebelles limitent leurs offensives. Il leur a fallu plus de trois mois pour avancer d’une centaine de mètres à Salaheddine, un quartier du sud de la ville dévasté par les combats et les bombardements. Ils ne parviennent pas non plus à déloger les snipers toujours positionnés à Boustan al-Qasr, seul point de passage entre la zone rebelle et celle contrôlée par le régime. Des civils qui franchissent le check-point faisant office de ligne de démarcation sont régulièrement pris pour cible.

A l’extérieur de la cité, les rebelles ont enregistré un succès en août avec la prise de l’aéroport de Menagh, dans le nord. Deux brigades - l’une affiliée à l’ASL, l’autre essentiellement composée de combattants tchétchènes - l’ont assiégé durant plusieurs mois, lançant des assauts réguliers. Mais la vague d’attaques la plus spectaculaire a été menée début août au nord de Lattaquié, une ville quadrillée par le régime, par des jihadistes de l’Etat islamique d’Irak et du Levant (EIIL), le nouveau nom d’Al-Qaeda en Irak, et du Front al-Nusra, un groupe lui aussi lié à Al-Qaeda. Ils ont alors pris une dizaine de villages alaouites - la branche du chiisme à laquelle appartient le président syrien - et ont commencé à avancer vers Qardaha, le berceau de la famille Al-Assad.

Mais deux semaines plus tard, le régime a lancé une contre-offensive et rapidement repris les villages. Preuve des divisions au sein de la rébellion, les brigades de l’Armée syrienne libre n’ont pas combattu aux côtés des jihadistes lors de la riposte des loyalistes. «Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas nous aider pour éviter que l’on commette ensuite des massacres contre les alaouites», explique un combattant actif dans la région de Lattaquié.

Trêve. Ces tensions entre jihadistes et combattants de l’ASL ont culminé le 18 septembre à Azaz. Prétextant qu’un médecin allemand travaillant dans un hôpital de campagne était en fait un espion, l’EIIL a attaqué le bataillon «de la Tempête du nord», affilié à l’ASL. Les jihadistes ont rapidement pris le contrôle de la ville, poussant la Turquie à fermer son poste frontière voisin. Une trêve a finalement été signée, mais elle reste fragile et ne règle pas la question de savoir qui, de l’ASL ou des jihadistes, contrôlera Azaz. Surtout, ce qui n’aurait pu être qu’un incident isolé s’est propagé à d’autres villes du nord, dont Raqqa, et de l’est, dont Deir el-Zor.

C’est essentiellement dans la Ghouta orientale, tout près de Damas, que se concentrent les unités de l’ASL les plus «modérées». Mais il leur faut compter là encore avec la progression du Front al-Nusra. Médecin originaire de Homs et réfugié au Liban, Huzeifa Edrees assure qu’«après la révolution, il en faudra une seconde pour chasser les groupes jihadistes de Syrie». Mais ne sera-t-il alors pas trop tard ?

Jean-Pierre Perrin et Luc Mathieu.

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