La reconnaissance du génocide arménien par l’Allemagne, un bouleversement dans l’histoire

Membres de la communauté arménienne, le 24 avril 2014, à Jérusalem. Photo : GALI TIBBON.AFP
Membres de la communauté arménienne, le 24 avril 2014, à Jérusalem. Photo : GALI TIBBON.AFP

En adoptant le 2 juin 2016 une résolution par laquelle elle reconnait le génocide arménien de 1915, l’Allemagne s’est rangée aux côtés de celles et ceux de ses homologues, dont la France, qui ont fait le choix de s’incliner devant la mémoire des Arméniens victimes du premier génocide du XXème siècle et de réhabiliter cette page sombre et occultée de l’Histoire de l’Humanité. Il s’agit, avant tout, d’un geste de paix, d’un geste de réconciliation et d’un geste d’espoir : la reconnaissance est la première des réparations, c’est celle qui détermine et conditionne l’existence, ô combien légitime, de toutes les autres.

Dans chaque pays au monde, obtenir la reconnaissance du génocide arménien est un combat. Les justiciers de la vérité doivent batailler durant des années face à un négationnisme d’Etat. Ils mobilisent, avec la ténacité des rescapés, intellectuels, journalistes, universitaires, parlementaires de leur territoire, l’ensemble des forces de la société civile, face aux petits arrangements d’ambassades, à la raison d’Etat, et aux menaces de représailles économiques et diplomatiques.

Le vote des députés allemands va plus loin encore et constitue même un bouleversement dans l’histoire de la cause arménienne.

D’abord parce que jamais un Etat n’avait reconnu sa complicité ou celle d’un régime dont il fut l’héritier, dans le crime de 1915. La résolution allemande évoque expressément : «le rôle déplorable du Reich allemand qui, en tant que principal allié militaire de l’Empire ottoman (…) n’a rien entrepris pour arrêter ce crime contre l’humanité». En raison de son histoire, de ses alliances durant la première guerre mondiale, l’Allemagne a montré la voie. Et pourtant tout le monde savait : le 24 mai 1915, la France, l’Allemagne et la Russie, prononçaient un appel des Grandes puissances dénonçant les massacres des Arméniens sans que pour autant rien ne soit réalisé pour apporter la protection face à l’infamie.

Ensuite, il est désormais établi que lorsqu’un Etat reconnait le génocide arménien, la recherche historique se libère dans ce pays. Le vote de cette résolution va permettre un approfondissement des travaux historiques et ce d’autant plus que les archives allemandes sont parmi les plus précieuses, après les archives turques, absolument indisponibles, concernant les événements de 1915.

La continuité avec la Shoah pourra ainsi être encore davantage illustrée, comme le démontre le rôle de Rudolf Höss, jeune officier allemand venu moderniser les armées ottomanes pendant le génocide arménien qui deviendra commandant du camp d’Auschwitz durant la seconde guerre mondiale. Il n’est plus permis de reconnaître l’un sans reconnaître l’autre.

Par ailleurs, il ne peut être fait abstraction du contexte dans lequel le vote de cette résolution a été obtenu. Avec la crise des réfugiés et la menace des autorités turques de déstabiliser l’Union européenne en accompagnant le mouvement des migrants, la pression sur l’Allemagne n’a jamais été aussi forte compte tenu des positions de la Chancelière. Et pourtant, c’est dans ce contexte, marqué par un rapport de force hautement défavorable à l’Allemagne dans ses relations avec la Turquie, que le Bundestag a adopté une résolution reconnaissant le génocidearménien. Il s’agit du plus grand camouflet connu par la Turquie dans la stratégie négationniste ultra-active.

Pour les autorités turques, la digue qui ne devait pas sauter

Enfin, et c’est peut-être cela le plus terrible pour le négationnisme turc, alors que chaque discours prononcé en Europe par le Président Erdogan, vise à transformer les ressortissants européens d’origine turque en ambassadeur de la Turquie dans ce qu’elle a de plus anti-européen, le fait que le principal instigateur de cette résolution soit un leader politique d’origine turque, Cem Özdemir, démontre toutes les limites d’une stratégie négationniste active.

Ce vote du Bundestag ainsi que ses implications mettent une pression comme jamais sur la Turquie. Au moment, où le premier député d’origine arménienne de la Turquie moderne, Garo Paylan, subit les pires sévices pour son engagement en faveur de la reconnaissance du génocide arménien à Ankara, ce vote dans le pays qui était regardé par les autorités turques comme représentant la digue qui ne devait pas sauter, constitue un événement d’une portée historique, qui aura bien sûr desconséquences au sein du peuple turc, car à chaque fois qu’un Etat reconnait le génocide arménien, les langues se délient un peu plus en Turquie.

Franck Papazian, co-président du Conseil de Coordination des organisations arméniennes de France (CCAF)

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *