Le peuple britannique a jugé que son avenir devait s’écrire hors de l’Union européenne. Ce vote est une mauvaise nouvelle car Londres est un allié historique. Il va malheureusement ouvrir une période de très fortes tensions au Royaume-Uni.
Mais nos amis britanniques ont envoyé un message à l’Europe qu’elle n’a pas le droit d’ignorer. C’est le message de ceux qui ne veulent plus d’une Europe passoire. De ceux qui ne veulent plus d’une Europe qui multiplie les contrôles et les réglementations. J’ai entendu les Britanniques qui sont fiers de leur appartenance nationale et qui craignent de perdre la maîtrise de leur destin.
Ces messages valent pour tous les Européens. « Pour l’Europe mais contre son fonctionnement actuel » : ce discours, c’est celui que je porte depuis longtemps.
Une certaine conception de la construction européenne a fait son temps. L’édifice institutionnel du traité de Rome était bon pour créer l’espace économique commun et harmoniser les normes techniques et réglementaires. Mais cet édifice qui a été mis en place il y a soixante ans n’est plus adapté.
Démarches d’harmonisation stériles
Je ne veux plus de l’Europe des techniciens. Je veux une Europe politique et je veux, pour cela, renverser la logique. Jusqu’à présent, Bruxelles bénéficiait d’une sorte de compétence générale qui permettait à la Commission d’intervenir dans à peu près tous les domaines en recherchant des normes communes imposées de manière uniforme aux vingt-huit Etats membres. Ce « fédéralisme administratif » est fini !
Demain, je veux que l’Europe n’intervienne que dans un nombre limité de domaines, et lorsqu’elle a un mandat clair des pays et des peuples européens. En fondant chaque action et politique communes sur cette exigence du mandat national, nous mettrons un terme au caractère uniformisateur, et donc réducteur de la machine communautaire, et nous ferons émerger des politiques communes puissantes et efficaces.
Parce qu’aujourd’hui, l’Europe marche sur la tête. En s’épuisant dans des démarches d’harmonisation stériles, elle ignore les attentes profondes des peuples européens là où le besoin d’Europe est criant. Où est la politique de sécurité commune face aux menaces du Proche et du Moyen-Orient ? Où sont la stratégie européenne et l’organisation commune aux frontières face aux flux migratoires incontrôlés ? Où est la politique d’indépendance énergétique européenne ? Où est l’organisation politique de l’euro pour mettre un terme au scandale de l’application extraterritoriale des lois américaines permise par la toute-puissance du dollar ?
Roulette russe
Aujourd’hui, je propose de prendre les Britanniques au mot. Les craintes qu’ils ont exprimées sont aussi les nôtres. Et c’est à nous, Français, d’apporter des réponses à ces attentes. Si j’étais en charge de la France, je prendrais rapidement plusieurs initiatives. J’irais dans chacune des capitales pour proposer à nos partenaires de bâtir une nouvelle Europe, plus respectueuse des nations. Celle-ci devrait être recentrée sur des priorités stratégiques, tout le reste devant être rendu à la compétence des Etats. La subsidiarité et la géométrie variable s’imposeraient sur l’uniformité actuelle.
Aux membres de la zone euro, je proposerais de franchir enfin l’étape politique de l’euro avec l’organisation d’une représentation parlementaire, la nomination d’un ministre permanent des finances de l’euro, l’engagement du processus d’harmonisation fiscale pour les entreprises de la zone. J’irais enfin à Londres pour commencer à écrire une nouvelle page de la relation franco-britannique. La conservation des liens militaires entre la France et le Royaume-Uni est notamment cruciale.
Cette nouvelle Europe forgée dans un nouveau traité serait soumise, en France, à référendum. Ceux qui, dès maintenant, réclament un référendum comparable à celui des Britanniques jouent à la roulette russe avec la civilisation européenne. Le référendum doit nous aider à choisir un avenir, pas à solder les amertumes du passé.
Refonder l’Europe
Le défi est de refonder l’Europe, pas de trancher entre le statu quo ou le divorce. En replaçant ainsi la France au centre du jeu, je permettrai de faire du Conseil européen des 28 et 29 juin une étape historique de relance de l’Europe.
Les dirigeants européens ne peuvent pas rester en spectateurs du désastre et s’enfermer dans une gestion notariale de la sortie du Royaume-Uni. Le coup de semonce britannique aurait pu venir d’ailleurs. La réforme de l’Europe n’est pas une option, c’est désormais une obligation vitale.
François Fillon, ancien premier ministre (2007-2012), député de Paris et candidat à la primaire de droite et du centre.