La régulation du football, un combat commun en Europe

L’Europe est en crise. Le projet européen n’est plus porteur d’espérance, la politique de l’Union européenne s’accompagne d’un chômage de masse, d’inégalités croissantes, d’une dérégulation hasardeuse et d’un dumping social et fiscal. C’est l’échec de l’Europe libérale et conservatrice.

Avec elle, l’action publique est abandonnée au profit de l’ordre spontané du marché, d’un laisser-faire dérégulé et absolu, sans contrainte ni régulation. L’alternative devient impossible. Les outils et les choix politiques disparaissent, et les idéaux sont abandonnés au profit du libéralisme.

Les partisans de cette idéologie ne cessent d’ailleurs d’en faire la réclame, mettant en avant les secteurs portés par l’absence de norme et de réglementation, par l’absence d’interventionnisme et de standardisation.

Parmi ceux-ci, on trouve le football, sport le plus populaire du monde, réunissant plus de 3 milliards de fans aux quatre coins du globe, pratiqué par plus de 300 millions de joueuses et de joueurs. C’est simple, il ne connaît pas la crise.

Le football ne connaît pas la crise

Son chiffre d’affaires, en 2018, était de 20 milliards d’euros, sa croissance est continue et régulière depuis vingt ans, les recettes d’exploitation explosent, les droits de retransmission grimpent sans cesse, dépassant régulièrement le milliard dans plusieurs pays européens. C’est simple, alors que tout va mal, le ballon rond reste stable et constant.

Pourtant, le football est un iceberg, qui va bien en surface, mais mal en profondeur. Bercé de certitude, assuré de sa toute-puissance, admirateur d’un capitalisme dérégulé et ultralibéralisé, persuadé que l’interventionnisme et la lutte des classes sont des impostures, il n’est pas exempt de tout reproche.

Le football présente des disparités et des inégalités importantes, plus importantes encore que dans le reste de la société. Les écarts de rémunération sont importants, de 1 à 500 entre les plus riches et les plus pauvres, le taux de chômage se rapproche dangereusement des 20 %, les niveaux de dépression tournent autour des 40 %, soit trois fois plus que dans le reste de la société, les taux de réinsertion sont faméliques et indignes d’un secteur si riche, les faillites et les débâcles sont nombreuses, etc.

Une forte segmentation du marché

La majorité des footballeuses et des footballeurs, des entraîneuses et des entraîneurs, ne mènent pas grand train, la précarité règne, l’inactivité et l’incertitude sont le quotidien de ces athlètes insuffisamment aidés et accompagnés par les autorités.

Du côté du consommateur, la situation empire. L’ouverture à la concurrence des droits de retransmission a provoqué une segmentation du marché. De plus en plus de chaînes de télévision privatisent les matchs et imposent le paiement d’un abonnement forfaitaire, souvent très onéreux.

Conséquence, les supporteurs doivent aujourd’hui dépenser plus de 40 € par mois pour regarder tout le football européen. Et sûrement 70 € dès 2020, avec la valorisation des droits TV de la Ligue 1 française, passant de 748 millions d’euros par an à 1,153 milliard, soit autant d’argent en moins pour son pouvoir d’achat.

Finalement, même dans l’opulence, le désespoir survient. Rien n’est fait pour protéger le football et ses fans. Sa libéralisation à marche forcée n’a rien fait pour améliorer les choses. Bien au contraire !

Une demande urgente de régulation

Ce sport a beau être l’exemple du capitalisme dérégulé, de l’ordre spontané du marché, son système ne fonctionne pas. On ne peut pas opposer la déroute de l’action publique au succès du football. Sa situation serait d’ailleurs pire, avec son aveuglement économique et son sentiment d’injustice.

Le libéralisme est pour nous clairement un échec. Il faut plus d’harmonisation, plus d’entente, de collaboration, de solidarité internationale. Le repli sur soi est aussi inopérant que le laisser-faire agressif. Profitons des élections européennes de mai prochain pour appeler à une action collégiale et globale, pour changer de modèle et activer une révolution copernicienne.

Il faut imposer une régulation sensée et crédible, lutter contre les inégalités et la pauvreté, favoriser la formation et la réinsertion, améliorer la redistribution et le partage des richesses. Et des outils existent ! Comme la contribution sur les transferts, le plafonnement des salaires ou la taxation des très hauts revenus.

Le football pourrait ainsi devenir le laboratoire international du « régulationnisme » économique, et l’Europe pourrait être le fer de lance d’un mouvement qui s’appliquerait à la fois à l’UEFA, à la FIFA et à L’ONU. Cela permettrait d’améliorer les choses, de garantir en même temps croissance et justice sociale, enrichissement et solidarité. Appelons alors au changement, appelons à tout changer pour améliorer les choses pour toutes et tous.

Les signataires de cette tribune sont : Richard Bouigue, Pierre Rondeau, codirecteurs de l’observatoire Sport et société de la Fondation Jean-Jaurès ; Vikash Dhorasso, ancien international.

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