La religion de la guerre

Le débat est vorace qui claque les mâchoires de ses idées et grince les dents de ses arguments. Il se trouve que je réprouve l’hypothétique recours aux frappes «punitives» en Syrie, lui préférant des actions moins sanglantes et l’aléa de pourparlers entre les forces en présence, tyran et opposants, chiites et sunnites, sans vouloir au préalable raser la moustache d’Assad ni lui couper le reste, sachant que c’est toujours avec son ennemi que l’on négocie.

En cette rentrée des claques, me voilà ex abrupto réduit au rang de munichois, c’est-à-dire de lâche collabo fourrier du nazisme, d’isolationniste, ou si vous préférez, de lepéniste trouillard planqué derrière les frontières de sa nostalgie, et de couille molle antimilitariste, car sentez comme tout ce barouf mobilisateur renifle la testostérone de chambrée, avec virilité en bandes molletières et péroraisons kakis des petits télégraphistes des médias grimés en foudres de guerre.

Ingérence belliqueuse. Il est étonnant de voir comment les humanitaires des années 80, qui se voulaient les secouristes des souffrances sur champs de bataille, se sont métamorphosés en apporteurs de guerres comme il est des apporteurs d’affaires. Ils avaient la fibre internationaliste, voulaient comprendre le lointain, célébrer la différence, chanter le tiers-monde. Ils ont mué en défenseurs d’un universalisme des droits de l’homme très louable sauf qu’il cache la défense des intérêts du pré-carré occidental et se contente de vernir de bonne conscience une éternelle volonté de domination.

Le pire, c’est que ces faucons messianiques se drapent dans une insupportable arrogance et regardent de haut l’indigène et son désir d’autonomie. Le droit d’ingérence est devenu une manière de gendarmer les peuplades qui refusent d’entrer dans l’histoire ou qui seraient d’une cruauté non répertoriée dans la liste des horreurs acceptées. Il est assez paradoxal que ce soient Obama et Hollande, deux dirigeants perçus comme apaisants et arrangeants qui se retrouvent saisis par le démon de faire le bien des peuples contre leur gré.

Pacifisme et référentiel 39-45. Le pacifisme est mal porté sur la scène française, car l’Hexagone vit dans l’ombre grise de Munich et de Vichy. On pourrait imaginer qu’à gauche, le Jaurès de 14 puisse aider à renverser la table sur les brodequins des va-t-en-guerre. Mais, non ! Nos Déroulède préfèrent se couvrir de cendres en dénonçant la non-intervention du Front populaire en Espagne ou froncer les sourcils devant les frétillements du jeune Mitterrand dans la ville d’eaux pour mieux applaudir aux roulements de tambour du casanier Hollande, dont le projet géopolitique nous avait échappé.

39-45, l’imaginaire des commentateurs bleu-blanc-rouge s’enkyste interminablement dans ce référentiel générationnel vieillissant. L’horreur étant nazie et son diable se prénommant Adolf, tout le reste ne peut qu’être pesé à cette aune, au risque de raisonner de façon binaire, avec Bien et Mal marchant au pas de l’oie. Croire que l’absolu existe, Mal ou Bien, Dieu ou Diable, empêche de réfléchir, d’avancer, de métisser le réel. Autant il est humain de rester polarisé sur les conflits les plus récents, autant cela freine l’appréhension des évolutions.

Et il est symptomatique de voir comment pour lutter contre des religions agressives, l’Occident soi-disant sécularisé, retrouve un vocabulaire empreint de religiosité (1). Il s’agit de «punir» Assad afin de le purifier de ses péchés. Il s’agit de «sanctionner» Assad pour qu’il accède à la sanctification. Preuve que sabre et goupillon continuent à rouler en tandem tout en se tenant par la barbichette, exercice assez acrobatique.

Isolationnisme et internationalisme. Elle est brumeuse cette idée développée par les croisés de l’ordre moral blanc que le refus d’intervenir serait le signe d’un repli sur soi, d’un retour au coin du feu de l’identité menacée, d’une peur du grand large océanique. On ne voit pas bien en quoi balancer des missiles de croisière serait une preuve d’ouverture d’esprit, la chose n’étant pas aussi bénigne qu’une fessée déculottée donnée à un grand escogriffe moustachu aussi bête et méchant que Averell Dalton. Cette démonstration de force a le sens bien compris des intérêts maison. Le bruit de bottes cessera le jour où les gaz de schistes assureront l’indépendance énergétique des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Même le nursing d’Israël, sentinelle avancée en ces contrées pétrolifères hostiles, déclenchera moins d’enthousiasme. On pourrait même voir les bons apôtres célébrer enfin le droit des peuples à se foutre sur la gueule en toute débilité. Sans que les grandes consciences du monde libre ne se sentent obligées de faire résonner leur internationalisme martial et marchand.

Luc Le Vaillant

(1) «Libération» du 5 septembre

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