De nombreux lieux de massacres continuent d’ensanglanter la planète. Deux situations témoignent particulièrement de la nécessité et de l’urgence d’agir. Chaque jour, et désormais dans une relative indifférence, la Syrie voit s’accroître le nombre de victimes tuées, blessées, réfugiées, d’un conflit de plus en plus inextricable, et explosif pour les pays voisins. Dans un autre contexte, la République centrafricaine continue de connaître son cortège d’exactions et l’accumulation des haines entre les diverses composantes de sa population.
Dans le premier cas, la communauté internationale a manifesté sa totale impuissance, faute d’accord pour intervenir de toutes les grandes puissances concernées en raison de leurs intérêts divergents. Dans le second, l’intervention nécessaire a été trop tardive, et l’envoi de militaires français provenant d’un pays ancien colonisateur à la neutralité suspectée suscite la défiance d’une partie des Centrafricains.
Pourtant, sans reprendre la notion controversée de devoir d’ingérence, l’Assemblée des Nations unies a entériné, en 2005, le beau principe de la «responsabilité de protéger», et la charte des Nations unies, adoptée en 1945, contient elle-même de nombreuses références à l’obligation de tout mettre en œuvre pour assurer la paix et la sécurité. C’est ainsi l’objet du chapitre VII de la charte permettant au Conseil de sécurité de décider les mesures à prendre, y compris pour «entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales».
C’est effectivement dans le seul cadre de l’ONU qu’il peut y avoir une véritable légitimité, de nature internationale à intervenir, y compris par la force, pour rétablir la paix et surtout pour rendre effective la responsabilité de protéger, tant il est impossible d’assister avec passivité et résignation au massacre de populations civiles. L’exemple centrafricain vient ici démontrer que même avec le feu vert onusien, l’intervention d’un seul pays, y compris avec l’appui de forces régionales, n’est pas la solution souhaitable.
Or, si la charte des Nations unies prescrit, en cas de nécessité, un engagement des Etats membres de mettre leurs forces armées à la disposition du Conseil de sécurité, ce qui a permis la constitution de nombreux corps de Casques bleus, il n’existe pas, à proprement parler, d’armée permanente capable d’intervenir à tout moment dès le début d’insoutenables tragédies, avant leur enlisement. Il serait indispensable qu’une telle armée permanente, composée de militaires venus de tous continents, soit dotée des moyens matériels les plus complets et les plus performants pour disposer des pouvoirs dissuasifs et répressifs nécessaires. Une partie des budgets consacrés par les Etats à leurs dépenses d’armement pourrait être ainsi mieux employée à assurer une paix à l’échelle mondiale.
De même que la légalité ne peut prévaloir au sein d’un Etat sans l’existence d’une police et d’une justice nationales, l’effectivité de la responsabilité de protéger restera lettre morte en l’absence de ces deux piliers indispensables. Des progrès ont certes été accomplis puisqu’il existe un embryon de police internationale avec les Casques bleus et qu’une Cour pénale internationale (CPI) a été créée. Mais pour celle-ci également un long chemin reste à accomplir dès lors que, faute de forces de police à sa disposition, elle dépend entièrement de la volonté de coopération des Etats pour faire exécuter ses décisions, en particulier les mandats d’arrêt émis et que, par ailleurs, faute de ratification par de nombreux Etats - dont les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Iran, Israël, la quasitotalité des pays arabes - elle n’a pas acquis le caractère universel qui lui est dévolu et qui reste un objectif essentiel à atteindre.
Mais, outre la nécessité d’une justice internationale renforcée et la création d’une force armée permanente, reste la nécessité de lever les blocages politiques qui persistent, comme le démontre le cas syrien. On relèvera ainsi que même pour un Etat comme la Syrie, qui n’a pas ratifié son statut, la CPI peut être saisie par le Conseil de sécurité, ce qui a été fait par exemple pour la Libye de Kadhafi. Encore faut-il obtenir une majorité de neuf des quinze membres du Conseil de sécurité et surtout l’absence d’exercice du droit de veto par l’un des cinq membres permanents du Conseil. Aucune décision n’a donc pu être prise pour saisir la CPI comme pour prendre une quelconque initiative, du fait de l’attitude hostile de la Russie et de la Chine.
Ce constat ne peut que conduire à la conclusion selon laquelle, que ce soit pour la saisine de la CPI ou pour l’intervention d’une force armée onusienne, le recours au droit de veto, surtout lorsqu’est en jeu l’impérieux devoir de protéger, doit être aboli. De même, la composition du Conseil de sécurité doit être modifiée au niveau des membres permanents, pour une meilleure prise en compte des réalités géopolitiques du XXIe siècle.
L’appel à un ordre international renforcé, meilleur garant de la paix et de la sécurité, avec pour seul et constant objectif de préserver l’être humain dans sa chair et sa dignité, doit mobiliser les énergies de tous les citoyens et les Etats qui croient aux valeurs universelles, et à certaines utopies d’aujourd’hui devenant réalités de demain, comme l’a montré l’instauration d’une juridiction pénale internationale longtemps considérée comme un doux rêve de «droits de l’hommisme». La France pourrait être à la pointe de ce combat pour la paix et la justice universelles.
Patrick Baudouin, avocat à la cour, président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH)