La revanche sans fin de Rajapakse

Victoire et répression: avec l’arrestation du général Fonseka, candidat malheureux aux élections présidentielles, ce scénario se répète au Sri Lanka. En 2009, la victoire militaire sur le mouvement des Tigres de libération de l’Eelam tamoul s’était conclue par une répression brutale contre la population tamoule. Aujourd’hui, l’arrestation d’opposants suit la victoire électorale du président sortant, Mahinda Rajapakse, refermant ainsi l’espace de débat qui s’était entrouvert durant la campagne présidentielle.

En mai dernier, l’armée sri lankaise remportait la victoire sur les Tigres, mettant fin à près de 30 ans de guerre civile. Pendant plusieurs semaines, elle avait resserré son étau autour du Nord-Est. Les civils, coincés dans la parcelle de terre où s’étaient repliés les insurgés, restèrent pris entre les bombardements des forces gouvernementales et la violence des rebelles. Les Nations unies estiment que plus de 7000 civils ont été tués et au moins 13 000 autres blessés pendant les derniers cent jours de combats.

Depuis, la politique de Rajapakse a contribué à renforcer encore le ressentiment de la communauté tamoule. Après la guerre, plus de 250 000 déplacés sont restés internés dans des conditions indignes. Dans un premier temps, les agences humanitaires n’ont eu aucun accès aux camps. Puis, le gouvernement les a laissé entrer, mais en continuant de maintenir à l’écart pendant des semaines les agences de protection, la presse et les organisations défendant les droits de l’homme.

Depuis quelques mois, la situation s’améliore pourtant: la plupart des internés ont été libérés, et ceux qui restent dans les camps jouissent d’une liberté de mouvement accrue.

Beaucoup de civils continuent, toutefois, à vivre cantonnés dans ces camps de transition, et ceux qui rentrent chez eux retournent vers des régions semées de mines. Aucune poursuite judiciaire n’a été entreprise contre les responsables des crimes commis pendant la guerre. Les reconstructions marginalisent encore la minorité tamoule: les dirigeants communautaires sont exclus d’institutions largement dirigées par les militaires.

Plus généralement, la corruption et la violence se sont répandues au point que beaucoup de Sri Lankais considèrent aujourd’hui que le président va trop loin. L’entrée en politique d’un autre «héros» de guerre avait été particulièrement mal vécue par le camp Rajapakse. Après avoir mené l’attaque sous les ordres de celui-ci, le général Fonseka s’était présenté aux présidentielles comme le candidat de la transparence et de l’apaisement au Nord. Son projet de gouvernement se basait sur un plan de reconstruction en dix points, comprenant la levée de l’état d’urgence et la démilitarisation de la région.

Il est peu probable qu’un homme connu pour son nationalisme cinghalais, et dont les faits d’armes ont si peu pris en compte le droit humanitaire international, se serait réellement fait le défenseur sincère de la cause tamoule et de la justice. Mais la candidature du général Fonseka a au moins contribué à agréger une opposition dispersée. Ce contrepoids au tout-puissant clan présidentiel avait créé, le temps de la campagne, une incertitude favorable au changement et au compromis. Par ailleurs, les accusations mutuelles de crimes contre l’humanité que le général et le président se jetèrent en public tout au long de la campagne auront contribué à mettre en relief les horreurs des derniers mois de la guerre.

Par l’arrestation de Fonseka, le 8 février, et les violences qui se multiplient au lendemain des élections, le président démontre à ceux qui en auraient douté que, malgré sa victoire électorale confortable, l’heure n’est pas à la réconciliation. Ces actions revanchardes contre l’opposition contribuent à plonger les partis dans la peur et le désarroi avant les élections législatives prévues pour mars ou avril.

La direction prise par Rajapakse devrait appeler une réaction vigoureuse. Les améliorations observées ces derniers mois au Nord-Est ne sont pas l’effet de la bonne volonté du gouvernement, mais démontrent plutôt qu’il reste sensible aux pressions internationales. Cela devrait convaincre plus que jamais l’Europe de maintenir sa pression sur Rajapakse. La révision par la Commission européenne du système d’accès privilégié au grand marché européen pour les produits sri lankais (GSP +, dans le langage bruxellois) a provoqué à Bruxelles un débat intense sur les réformes que Colombo devrait entreprendre pour continuer à bénéficier de ce statut privilégié. Lors d’un récent échange au Parlement européen, en présence de l’ambassadeur du Sri Lanka, un député britannique d’origine sri lankaise faisait remarquer que la perte du système préférentiel d’accès au marché européen signifierait la destruction de 250 000 emplois au Sri Lanka… Pour les frères Rajapakse, les petits jeux revanchards semblent plus importants que de sauver les emplois de leurs électeurs. Il est essentiel que les partenaires du Sri Lanka, y compris la Suisse qui a accueilli tant de réfugiés de ce pays sur son territoire, fassent bien sentir à Colombo qu’il est essentiel de conserver le «GSP +» et qu’à cette fin, la souplesse doit venir du gouvernement sri lankais et non de la Commission européenne. Créer du chômage dans un pays en reconstruction serait d’une profonde absurdité.

Sans une véritable enquête sur les crimes commis durant les derniers mois de guerre, sans une réforme qui permette une véritable représentation politique de la communauté tamoule, les dangers d’une résurgence de la lutte armée resteront puissants. La tradition d’impunité qui s’est installée au cours des années de guerre a sérieusement affaibli la démocratie sri lankaise. Le défi, pour les partenaires de ce pays, consiste à briser cette dynamique destructive.

Alain Délétroz, vice-président de International Crisis Group à Bruxelles.