La révolution de la voiture électrique ne doit pas rompre l’équilibre entre les territoires

Depuis plusieurs mois, les annonces se multiplient tant de la part des Etats membres de l’Union européenne que de l’industrie automobile européenne en faveur d’une réorientation de la mobilité vers des modes décarbonés, en particulier vers les véhicules électriques et hybrides. Guidé par l’impératif de la lutte contre le changement climatique, Nicolas Hulot a ainsi annoncé, dès sa prise de fonction, la fin des voitures diesel et essence d’ici à 2040.

Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Norvège ou encore l’Allemagne se sont déjà engagés dans cette voie, ou envisagent de le faire. De leur côté, les constructeurs développent leurs offres électriques pour accompagner ce mouvement et certains, comme Toyota ou Volvo, ont d’ores et déjà annoncé la fin de leurs gammes thermiques.

Nous ne sommes qu’à l’aube de cette révolution majeure. Au premier semestre 2017, le véhicule électrique ne représentait que 1,2 % du marché automobile français avec plus de 13 000 exemplaires vendus, en hausse de près de 10 % par rapport à l’année précédente. Cette accélération résulte de la diminution continue du coût des batteries et de l’amélioration de leurs performances, et un scénario de rupture encore plus significatif pourrait se dessiner avec la mise sur le marché annoncée des véhicules autonomes.

Pour autant, le déploiement de 7 millions de points de charge à l’horizon 2030, prévu par la loi de transition énergétique, exigera un fort volontarisme. Il faudra impérativement sortir du débat de « l’œuf et la poule », consistant à repousser l’implantation des bornes de recharge au motif que les véhicules électriques ne sont pas encore là, tandis que les utilisateurs potentiels repoussent leur achat de véhicule faute de bornes !

Développer les infrastructures de recharge

L’anticipation et la planification des besoins sera d’autant plus nécessaire qu’elle ira de pair avec un enjeu de cohésion territoriale. Car si la transformation est en marche, grâce au consensus entre l’industrie, la société et l’Etat, une chose est sûre : elle ne pourra se faire sans un aménagement équilibré entre territoires ruraux et urbains.

A l’heure actuelle, le développement des points de charge se concentre en zone urbaine, là où la demande est forte et les coûts de raccordement moindres. Cette situation risque d’engendrer une fracture territoriale sur les nouvelles mobilités, alors même que les habitants des territoires périurbains et ruraux sont très souvent contraints à l’utilisation de la voiture. Notons que cette planification est tout aussi cruciale pour les zones urbaines. A titre d’exemple, les 1 300 points de charge d’Oslo, qui constituent pourtant l’un des réseaux les plus denses du monde, ne parviennent plus aujourd’hui à satisfaire la demande.

Pour faire face au triple enjeu du déploiement des infrastructures de recharge, de l’équilibre territorial et de l’impact sur les réseaux électriques, notre pays dispose d’infrastructures dont les coûts de développement sont compétitifs, d’un aménagement territorial équilibré entre urbain et rural et d’une capacité de recherche & développement (R&D) à la pointe des technologies de recharge.

Mais il faudra sans doute aller au-delà et mettre en place un schéma directeur d’implantation des infrastructures de recharge, qui assurerait d’une part leur localisation optimale vis-à-vis des capacités du réseau, permettant de réduire le coût de leur implantation, et d’autre part un équilibre territorial de cette implantation, notamment entre zones urbaines et rurales.

Des « corridors des mobilités innovantes »

Un fonds dédié concentrant les aides publiques, sans doute en mobilisant une enveloppe significative des investissements d’avenir, pourrait aussi être créé. Autre chantier majeur pour le modèle économique du véhicule électrique, il faudra aussi engager rapidement le développement du « smart charging », qui permettra de réduire considérablement le temps et les coûts de raccordement des bornes au réseau électrique.

Enfin, il est indispensable de penser cette révolution des mobilités au niveau européen. Le 26 septembre, dans son discours de la Sorbonne, le président de République proposait « la mise en place d’un programme industriel européen de soutien aux véhicules propres et de déploiement d’infrastructures communes afin qu’il soit possible de traverser l’Europe sans l’abîmer ».

Cette initiative pourrait passer par la création de « corridors des mobilités innovantes » permettant de mailler 70 000 km d’autoroutes reliant les capitales européennes entre elles, en investissant massivement dans un réseau de stations de recharge électrique. Il s’agirait d’un signal puissant en faveur de la mobilité propre, et des citoyens/utilisateurs européens.

L’« Union européenne de l’énergie » ne peut pas consister uniquement en pourcentages de CO2 ou d’énergies renouvelables, en objectifs généraux chiffrés à 2O30 ou 2040 ; elle doit désormais parler aux peuples européens à travers des engagements concrets, perceptibles par tous, participant au développement accéléré d’une mobilité propre, à moindre coût et au service de la cohésion territoriale.

Par Michel Derdevet, Maître de conférences à l’IEP Paris.

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