La rigueur au coeur du projet allemand pour l’euro

La note de Wolfgang Schäuble, le ministre allemand de finances, se proposant de faire sortir la Grèce de l’euro visait-elle uniquement à traiter le cas grec ou s’inscrit-elle dans un projet plus large de reconfiguration de la zone euro ? À la lumière du passé, la question mérite d’être posée. Ce projet n’est, en effet, en rien nouveau. Il a même été le premier enjeu de la négociation du traité de Maastricht et avait bénéficié à l’époque du soutien d’une partie de l’administration française et jusque dans l’entourage du président Mitterrand. Pierre Bérégovoy, alors ministre de l’économie et des finances s’y était vivement opposé et avait milité pour que la Grande-Bretagne participe à la négociation du traité même si elle ne souhaitait pas y adhérer dans l’immédiat.

De même, l’expulsion d’un pays du mécanisme monétaire a un précédent, aujourd’hui oublié : il s’agit de la sortie, avec la lire italienne, de la livre sterling du système monétaire européen dans lequel elle était entrée peu de temps auparavant, lors de la crise monétaire de l’été 1992 consécutive à la forte remontée des taux allemands induite par l’unification monétaire allemande. Déjà à l’époque s’était posée la question de savoir si les autorités allemandes avaient cherché à mettre en échec la marche vers l’euro ou plus simplement à faire faire aux marchés financiers le travail de « tri » qu’elles répugnaient à faire ouvertement en plein débat sur la ratification du traité de Maastricht (À la différence de la Grande-Bretagne, l’Italie est revenue dans le système monétaire européen au printemps 1997).

Deux conceptions de l’Europe

Ce débat a resurgi en septembre 1995, à l’occasion de la proposition allemande de création d’une « surveillance renforcée » sous le vocable de « pacte de stabilité ». Théo Waigel, le ministre allemand des finances de l’époque, voulait durcir les critères budgétaires en ramenant le seuil de déficit budgétaire de 3 % à 1 % pour créer ce qu’il avait appelé un « Schengen monétaire » autour d’un « noyau dur de pays dont l’Italie ne ferait pas partie ». L’idée de ce pacte était selon les mots du président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, de faire « en même temps (que l’union monétaire) une union politique » entre la France, l’Allemagne et les pays du Bénélux.

À travers ce débat, ce sont deux conceptions de la construction européenne qui s’affrontent et qui opposent français et allemands. D’un côté, une Europe qui vise à englober tous ses membres dans toutes les dimensions des institutions et des politiques, même si tous n’y vont pas au même rythme ; de l’autre, une Europe à deux cercles, un cercle étroit, plutôt fermé, de pays qui se fédéralisent et dont l’euro est la préfiguration au milieu d’un cercle large, ouvert, construit autour d’un marché unique et participant au cas par cas à certaines politiques initiées par le premier cercle. Au-delà du problème grec, la négociation qui va s’ouvrir avec David Cameron, le premier ministre britannique, sur le repositionnement de la Grande-Bretagne dans l’UE, ouvre l’opportunité d’une telle reconfiguration globale de l’Europe.

L’objectif de réduire l’euro à un noyau dur a toujours été porté par des ministres de la CDU-CSU, les deux « partis-frères » de la droite démocrate-chrétienne et conservatrice. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit à nouveau relancé par un ministre de la CDU. A-t-il plus de chance de réussir aujourd’hui qu’hier ? L’opposition de la France à ce projet a toujours été déterminante. À cet égard, le ralliement de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé à la sortie de la Grèce de l’euro est aussi étonnant qu’irresponsable, même si devant la pugnacité de François Hollande, ils se sont vite ressaisis. Le président français a tenu sur l’essentiel, quitte à accepter un programme absurde pour la Grèce : maintenir l’intégrité des pays membres de l’euro, c’est maintenir l’intégrité de la construction européenne. La négociation sur le nouveau plan d’aide sera à cet égard décisive. On verra alors si l’objectif allemand vise à pousser l’administration grecque à se réformer ou si l’escalade à demander toujours plus de réformes n’est qu’une stratégie pour progresser vers une réorganisation plus large de l’Europe.

Par André Gauron, Économiste, ancien conseiller de Pierre Bérégovoy au ministère de l’économie et de finances.

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