La robotisation ne tue pas le travail, elle le transforme

La crainte que le progrès ne détruise des emplois est aussi vieille que le progrès lui-même. Le dernier épisode en date s’est ouvert en 2013, avec la publication d’une étude par deux chercheurs britanniques ­d’Oxford, Benedikt Frey et Michael Osborne, concluant à l’exposition de 47 % des emplois américains au risque d’automatisation. Ce chiffre a fait l’effet d’un séisme, suivi de nombreuses répliques : compléments, commentaires, contre-expertises… Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) a remis ses propres conclusions le 12 janvier et table sur moins de 10 % des emplois « très exposés ». De leur côté, certains candidats à la présidentielle se sont saisis du sujet, qu’ils veuillent taxer les robots ou introduire un revenu universel pour aider chacun à survivre à « la fin du travail ».

Une nuance qui fait la différence

Personne ne peut nier qu’un automate se substitue à l’humain et qu’il est même fabriqué dans ce but. Mais on ne répétera jamais assez qu’il est conçu pour accomplir des tâches et non pour occuper un emploi : l’oubli de cette « nuance » est d’ailleurs l’une des principales faiblesses méthodologiques de l’étude des deux chercheurs et de certaines de celles qui l’ont suivi. C’est aussi la raison pour laquelle l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et le COE obtiennent de leur côté des taux d’exposition quatre ou cinq fois plus faibles. L’autre insuffisance de toutes ces études, c’est qu’elles ne savent tout simplement pas calculer ni même évaluer combien l’automatisation crée d’emplois dans le même temps. Le progrès technique exerce différents types d’effets, dont l’addition pour obtenir un « effet net » sur l’emploi est très délicate.

Que savons-nous en dire aujourd’hui ? Globalement, la robotisation et plus largement l’investissement en faveur des gains de productivité accélèrent la création de valeur dans une économie et donc sa capacité à créer des emplois. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les pays les plus équipés en robots sont ceux qui préservent ou développent le mieux leur industrie. Sur le terrain, aussi (territoires, entreprises, secteurs…), la majorité des études empiriques concluent à un ­effet positif ou neutre du progrès technique sur l’emploi agrégé.

Dans le secteur tertiaire

En réalité, le défi qui est devant nous est moins celui de la disparition des emplois que celui de la transformation du travail. Le progrès technique demande toujours plus de profils qualifiés. A contrario, dans l’industrie comme dans le secteur tertiaire, quasiment tous les métiers non qualifiés voient leurs effectifs diminuer. La seule exception ­concerne l’augmentation rapide du nombre d’emplois d’aide à domicile pour le ménage, la garde d’enfants ou l’aide aux personnes âgées.

Il est donc essentiel de disposer d’un appareil de formation initiale et continue efficace, bras armé de partenaires sociaux sincèrement désireux de jouer la carte de la montée en gamme. Cela concerne bien sûr les nouveaux profils « techniques » (spécialistes du big data, par exemple) mais également tous les salariés, dont on attend toujours plus d’aptitudes et d’autonomie, elles-mêmes inenvisageables sans une solide maîtrise des savoirs éducatifs de base.

Uber ou pas, le sujet est donc moins nouveau qu’on pourrait le penser : investir dans l’éducation et la formation est encore le meilleur moyen de nous préparer aux effets des nouvelles technologies sur l’emploi. C’est grâce à cette montée en compétences que les entreprises trouveront dans notre pays les travailleurs qualifiés dont elles ont besoin.

Par Vincent Charlet, Fabrique de l’industrie.

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