La Russie se détourne de la justice internationale: pour faire oublier les accusations qui la concernent?

L'entrée du bâtiment occupée par la Cour internationale de justice à La Haye, 3 mars 2011. © REUTERS/Jerry Lampen/File Photo
L'entrée du bâtiment occupée par la Cour internationale de justice à La Haye, 3 mars 2011. © REUTERS/Jerry Lampen/File Photo

Le mercredi 16 novembre 2016, les autorités russes ont annoncé leur décision de ne pas ratifier le Statut de Rome de 1998 instituant la Cour pénale internationale (CPI).

La presse internationale a relayé l’information, en la qualifiant souvent de «retrait» de la Russie de la CPI, suggérant ainsi qu’il s’agit d’une décision importante. La portée juridique de cette décision est toutefois limitée. Le moment de l’annonce semble quant à lui indiquer que l’annonce s’inscrit dans le cadre d’une habile stratégie de communication politique de la part du Kremlin.

La Fédération de Russie avait signé ledit document le 13 septembre 2000, aux débuts du premier mandat présidentiel de Vladimir Poutine. En droit international, la signature d’un traité soumis à la ratification a pour rôle essentiel de marquer l’accord définitif des États signataires sur le texte dudit traité.

La Russie ne pouvait se «retirer»

La signature précède toujours l’éventuelle ratification. Cette procédure en deux temps permet aux gouvernements d’obtenir l’autorisation des autorités internes compétentes – généralement il s’agit des parlements – avant d’engager fermement l’État à respecter un traité.

Il est donc juridiquement et logiquement impossible de «retirer» une telle signature. Une fois le texte arrêté entre les parties, il ne peut plus être remis en cause, sauf bien sûr dans le cas de la réouverture des négociations en vue d’un amendement ou d’une révision du traité.

En tant qu’État signataire, la Russie avait en outre une obligation «précontractuelle» – aux contours certes quelque peu incertains – de s’abstenir d’actes qui priveraient le Statut de Rome de son objet et de son but (article 18 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre États).

La Russie n’ayant jamais ratifié le Statut de Rome, elle n’était pas devenue membre de la CPI – de laquelle elle ne pouvait donc évidemment pas se «retirer».

Hostilité active des Etats-Unis

En communiquant sa décision de ne pas ratifier le Statut de Rome, la Russie ne fait qu’exercer un pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite à la signature. L’annonce met également fin à l’obligation «précontractuelle» de ne pas porter atteinte à l’objet et au but du Statut de Rome.

Une telle décision n’est pas sans précédent. En 2001, le président George W. Bush avait communiqué son intention de «retirer» la signature apposée le 31 décembre 2000 sur décision de Bill Clinton, marquant ainsi le début de son hostilité active à la CPI. Le Congrès avait ensuite adopté le «American Service-Members’Protection Act» – rapidement surnommé le «Invasion of the Hague Act» –, qui autorise notamment le Président à utiliser tous les moyens nécessaires pour libérer un citoyen américain qui viendrait à tomber entre les mains de la Cour. En août 2002, l’État d’Israël avait également communiqué au dépositaire sa décision de ne pas ratifier le Statut de Rome, de même que le Soudan en 2008.

Des ressortissants russes pourront quand même être poursuivis

La portée purement juridique de cette décision est limitée. Personne ne s’attendait à ce que la Russie rejoigne la CPI dans un avenir proche. Et, quoi qu’il en soit, la porte n’est pas fermée à la Russie, qui aura toujours la possibilité d’adhérer au Statut (article 125 par. 3 du Statut de Rome).

Par ailleurs, cette décision n’a pas pour effet de protéger des citoyens russes contre des poursuites au cas où ils commettraient des crimes qui tombent dans la compétence de la Cour – actuellement il s’agit du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes contre l’humanité.

Le fait qu’une personne ait la nationalité d’un État non-membre n’empêche pas la CPI de le juger, à condition qu’elle ait commis des crimes pour lesquels elle est compétente. Or, on ne saurait pas exclure que de telles poursuites soient entreprises dans les mois ou les années qui viennent pour des crimes commis sur le territoire de la Géorgie et de l’Ukraine.

Des faits survenus en Ossétie du Sud et en Crimée

Les enquêtes menées par la CPI en Géorgie – État membre de la CPI depuis 2003 – concernent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis, tant par la partie géorgienne que par les rebelles ossètes et l’armée russe, principalement en Ossétie du Sud lors du conflit de l’été 2008. Le 27 janvier 2016, la Chambre préliminaire I de la CPI a estimé qu’il y avait une base raisonnable pour autoriser le Procureur, Madame Fatou Bensouda, à lancer formellement des enquêtes.

En ce qui concerne l’Ukraine, la compétence de la CPI découle du consentement du gouvernement ukrainien. Dans son «Rapport sur les activités menées en 2016 en matière d’examen préliminaire», publié lundi 14 novembre 2016, le Bureau du Procureur a qualifié la présence russe en Crimée d’occupation – et donc de conflit armé international. Il a constaté des faits qui permettent de penser que les autorités russes y ont procédé au harcèlement de la population tatare et que des meurtres, des conscriptions forcées, des déportations et des enlèvements et arrestations extrajudiciaires, parfois accompagnés de mauvais traitements y ont été commis depuis l’annexion de la péninsule par la Russie en mars 2014.

Détourner l’attention médiatique

Pour ce qui est de l’Est de l’Ukraine, le Procureur a recensé plus de 800 situations dans lesquelles des crimes de guerre, tels que des meurtres de civils, des actes de torture et des violences sexuelles auraient été commis tant par les forces gouvernementales ukrainiennes que par les rebelles. Au vu de l’implication notoire de citoyens – voire de militaires – russes auprès des forces rebelles, force est de constater que le risque pour la Russie de voir certains de ses ressortissants soumis à des poursuites par la CPI est devenu réel.

Dans ces circonstances, le choix par le gouvernement russe de communiquer sa décision seulement deux jours après la publication du rapport du Procureur apparaît comme une tentative de détourner l’attention médiatique de la substance des accusations qui planent sur la tête – entre autres – de ressortissants russes.

Hypocrisie

La Russie profite également de l’appel d’air créé par l’adoption au sommet de l’Union africaine d’Addis Abeba de janvier 2016 d’une décision qui encourage les États africains à dénoncer le Statut de Rome, suivie des récentes dénonciations par l’Afrique du Sud, le Burundi et la Gambie.

Par ailleurs, la mesure indique sans doute un changement d’attitude plus fondamental de la Russie vis-à-vis de la CPI. Jusqu’à la crise syrienne, la Russie ne s’était pas opposée à ce que le Conseil de Sécurité des Nations unies donne compétence à la Cour pour enquêter sur certaines situations – Darfour et Libye.

Dans le cas de la Syrie, la Russie et la Chine avaient en mai 2014 mis leur veto à un projet de résolution soutenu par 65 États membres des Nations unies, dont la Suisse, et qui aurait permis à la CPI de lancer des enquêtes sur les crimes commis en Syrie depuis mars 2011.

Il y a donc une part d’hypocrisie dans l’accusation formulée par la Russie selon laquelle la Cour ne serait pas suffisamment indépendante et efficace.

Etienne Henry, docteur en droit, est chercheur visiteur, au Centre de droit international de l’Université Libre de Bruxelles.

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