La Sainte Alliance contre les Kurdes

Lors du meeting de Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien, vendredi, dans le stade d’Erbil. Photo Christophe Petit Tesson
Lors du meeting de Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien, vendredi, dans le stade d’Erbil. Photo Christophe Petit Tesson.

Le 25 septembre, le peuple du Kurdistan irakien, toutes tendances et toutes confessions confondues, s’est massivement rendu aux urnes pour se prononcer sur son avenir. A près de 93% il a opté pour l’indépendance du Kurdistan.

Le scrutin, tout comme la campagne référendaire qui l’a précédée, s’est déroulé dans le calme, sans incident majeur et selon une procédure démocratique transparente.

Cela en soi constitue un miracle, car on n’est pas en Suisse, mais dans un pays du Moyen-Orient encore en guerre contre Daech [le groupe jihadiste Etat islamique, ndlr] et menacé par des Etats voisins qui n’ont pas lésiné sur les intimidations et les manœuvres diverses pour dissuader la population d’aller voter.

Dans un monde idéal, respectueux du droit et de justice, la communauté internationale aurait dû saluer le courage et la maturité politique d’un peuple malmené par l’histoire, qui a subi tant de tragédies, qui exprime ainsi pacifiquement ses aspirations et son attachement aux normes et valeurs démocratiques et prendre l’initiative d’accompagner ce processus d’accession à l’indépendance.

Mais on est dans un monde où les mots justice, droit international, droit des peuples à l’autodétermination sont instrumentalisés par les puissances, grandes et moyennes, en fonction de leurs intérêts dans un esprit où le cynisme le dispute à l’hypocrisie.

Obsession idéologique antikurde

Ainsi, la Turquie qui a créé dans sa zone d’occupation chypriote une «république turque» pour quelque 200.000 Chypriotes turcs, dénie aux 7,5 millions de Kurdes irakiens le droit à un Etat indépendant. Son président islamiste, qui réclame la levée du blocus contre Gaza, menace de fermer sa frontière avec le Kurdistan irakien, d’empêcher ses exportations de pétrole voire d’y intervenir militairement. Cela alors que depuis vingt-cinq ans le Kurdistan autonome a prouvé qu’il ne constituait pas une menace pour la sécurité de ses voisins turcs et iraniens et qu’il est même devenu, selon les années, le deuxième ou le troisième marché pour les exportateurs turcs. Entre intérêts économiques mutuellement bénéfiques et obsession idéologique antikurde, Ankara semble choisir cette dernière, de peur, semble-t-il, que l’indépendance du Kurdistan irakien n’encourage les quelque 18 à 20 millions de Kurdes de Turquie qui n’ont même pas le droit d’avoir un enseignement dans leur langue, ne revendiquent un jour le même statut. Après près d’un siècle de conflits si coûteux en vies humaines et en ressources, la Turquie n’a toujours pas compris que la meilleure façon de combattre le séparatisme kurde est de gagner la bataille des cœurs et des esprits en reconnaissant les droits culturels et linguistiques de sa population kurde en se posant en protectrice des Kurdes des pays voisins.

L’Iran, qui contrôle déjà le régime chiite de Bagdad et qui a aussi une population d’environ 12 millions de Kurdes à grande majorité sunnite, ne veut pas d’un Kurdistan démocratique, séculaire, pro-occidental à ses frontières. Choqué qu’en plein mois de deuil chiite de «moharram», le référendum donne lieu à de grandes manifestations festives et joyeuses dans les principales villes du Kurdistan iranien, il se coalise avec son rival régional turc pour tenter d’intimider et d’asphyxier le Kurdistan irakien. Il agite aussi bruyamment le spectre de la «création d’un deuxième Israël» pour rallier les pays arabes à sa croisade antikurde, feignant d’ignorer que l’idée d’un Kurdistan uni et indépendant remonte à l’épopée nationale kurde Mem et Zîn, et que la première Histoire générale des Kurdes, le Cherefnameh ou Fastes de la Nation kurde, écrite en 1596 en persan, précèdent de quelques siècles la création d’Israël. Par ailleurs, la première République kurde de l’histoire a été fondée en 1946 à Mahabad au Kurdistan iranien.

Quant au pauvre Irak, ou ce qu’il en reste, il a cru faire preuve d’autorité en prenant la seule mesure de rétorsion à sa portée, la fermeture des aéroports du Kurdistan aux vols internationaux. Une mesure qui affecte tant les civils kurdes, les hommes d’affaires que les personnels humanitaires et volontaires qui viennent aider les quelque 1,8 million de réfugiés et déplacés, pour une large majorité des Arabes sunnites, à qui le Kurdistan a généreusement offert son hospitalité. Selon Bagdad, le référendum du Kurdistan serait «inconstitutionnel». L’ancien ambassadeur américain, Robert Ford, peu suspect de kurdophilie, a relevé, dans un article récent, que le gouvernement irakien n’a pas respecté des dispositions essentielles (key dispositions) de la Constitution de 2005, comme la création d’un Sénat devant représenter les régions et les gouvernorats, l’interdiction de milices, l’organisation d’un référendum dans les territoires dits disputés avant fin 2007, l’affectation de 17% du budget à la région du Kurdistan, etc. De son côté, l’ancien ministre des Affaires étrangères puis des finances de l’Irak, Hoshyar Zebari, dans une tribune publiée par The Telegraph de Londres, souligne que le régime irakien a violé 55 des 144 articles de la Constitution et qu’il n’a pas respecté les accords de partage de pouvoir conclu sous l’égide américaine entre les Kurdes et les Premiers ministres irakiens successifs, Nouri al-Maliki et Haïdar al-Abadi.

Îlot de tolérance religieuse et de pluralisme

Cette politique de centralisation du pouvoir, de marginalisation des Arabes sunnites a favorisé l’émergence d’abord d’Al-Qaeda, puis de Daech. De ce fait, les Kurdes ne veulent plus faire partie d’un Irak dirigé par un pouvoir chiite sectaire inféodé à l’Iran.

Les pays arabes qui réclament, à juste titre, un Etat palestinien refusent ce même droit aux Kurdes qui constituent une nation historique, qu’ils honorent de temps à autre comme des «descendants de Saladin, sauveur de l’islam». Ils ne sont pas à une contradiction et un anachronisme près. Mais de là à s’associer à leurs rivaux et ennemis iraniens et turcs ! Comprenne qui pourra.

Cependant, le plus incompréhensible reste la position des démocraties. Elles n’ont de cesse de parler des droits de l’homme, de tolérance religieuse, des valeurs démocratiques et semblent s’opposer à la volonté clairement exprimée d’un peuple, qui dans un Moyen-Orient livré aux dérives autocratiques et sectaires, honore et pratique ces valeurs, qui a créé un îlot de paix, de tolérance religieuse, de pluralisme, de stabilité et de relative prospérité dans un environnement régional chaotique. Allons-nous soutenir la Sainte Alliance turco-irano-irakienne pour punir nos meilleurs alliés régionaux, ceux qui ont combattu bravement Daech et les sacrifier sur l’autel des intérêts à court terme et de la Realpolitik ? Dans un monde où les Iraniens soutiennent partout les chiites, les pétromonarchies les sunnites salafistes, les Russes les orthodoxes, nos démocraties ne devraient-elles pas défendre, elles aussi, leurs valeurs et ceux qui, comme les Kurdes, les portent au prix d’indicibles sacrifices ?

Conseil de sécurité

En 1918, le grand président américain Woodrow Wilson, au nom de ses principes des nationalités et pour une paix juste et durable avait préconisé la création d’un Kurdistan entérinée par le traité international de Sèvres de 1920 qui ne fut jamais appliqué. Ce manquement ou cette «imprévoyance», comme le rappelait le chef de la délégation kurde, le général Chérif Pacha, plongea le peuple kurde dans un siècle de malheurs.

En 1991, un autre grand homme d’Etat, François Mitterrand, lors de la crise des réfugiés kurdes consécutive à la Guerre du Golfe, a bravé le scepticisme et l’hostilité de ses alliés et saisi le Conseil de Sécurité pour faire adopter la fameuse résolution 688 qui a créé une zone de protection qui a évolué vers le Kurdistan autonome actuel.

Aujourd’hui, menacé par ses voisins, mais serein et déterminé, le peuple kurde espère que la France, qui bénéficie d’un immense capital de sympathie au Kurdistan, prendra à nouveau sa défense en usant de toute son influence d’abord pour réduire les tensions et empêcher les Etats voisins d’asphyxier le Kurdistan, puis offrir ses bons services à Bagdad et à Erbil pour un règlement pacifique de la crise. Elle devrait aussi porter cette question qui menace gravement la paix et la stabilité régionale devant le Conseil de sécurité. Elle est la seule à pouvoir le faire, car dans ce monde tel qu’il est organisé, les Kurdes n’ont ni siège ni voix à l’ONU alors qu’une myriade d’îles, d’émirats, de confettis d’empires y siègent et y votent.

Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris.

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