La singularité technologique et le revenu de base inconditionnel

Et si le principe d’un revenu de base inconditionnel était une réponse adéquate à la singularité technologique, ce moment précis, annoncé dans un futur proche, où une espèce d’intelligence artificielle serait capable d’auto-évaluation et surpasserait l’intelligence humaine (Roduit, Le Temps, 16 janvier 2014)?

Prévue comme un point de rupture par certaines figures transhumanistes, cette singularité est pourtant déjà une réalité pour les caissiers de nos supermarchés. En effet, depuis peu, pour faire nos courses, plus besoin d’interagir avec un être humain. Tout (où presque) est géré par une machine. Il est facile d’imaginer que bientôt nos frigos connectés seront directement en contact avec nos supermarchés, afin d’organiser la livraison de nos courses à domicile, sans interaction humaine. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle remplace avantageusement l’intelligence humaine.

Bien sûr, ces machines ont été créées par des êtres humains. On peut donc également célébrer l’intelligence humaine (voir G. Meynet, La victoire de l’homme au jeu de GO, Le Nouvelliste, 25 mars 2016). Néanmoins, la machine est maintenant utilisée pour remplacer d’autres humains. Du point de vue de l’employé du supermarché, il y a donc bel et bien une espèce de singularité technologique. Ceci n’est donc plus de la science-fiction.

Des prédictions de l’automatisation du travail, concernant toute sorte d’emplois, sont de plus en plus d’actualité. Une étude de l’Université d’Oxford estime qu’environ 47% des emplois aux Etats-Unis risquent de disparaître ces vingt prochaines années. Le World Economic Forum a fait de ce sujet un thème principal cette année.

Avec l’Internet des objets, les Big Data, les imprimantes 3D, les drones et les voitures autonomes, il est difficile d’imaginer quel type de travail ne sera pas radicalement transformé et quelle profession ne deviendra pas obsolète. Avec une série de singularité, existera-t-il encore un travailleur irremplaçable? On peut déjà construire des maisons avec des imprimantes 3D. Et, certains se posent même la question si une intelligence artificielle ne devrait pas devenir présidente des Etats-Unis (Le Temps, 11 mars 2016). Le fantasme est donc de refuser de voir la réalité d’un monde qui change rapidement (c.f. la loi de Moore) et non pas le principe du RBI, même si le principe devait être refusé en votation, comme décrit dans un récent éditorial du Temps.

Face à ces changements sans précédent (on parle ici d’une révolution industrielle!), certains suggèrent que l’Homme se transforme ou s’augmente (human enhancement) en continuant de fusionner avec la machine, afin de ne pas devenir obsolète. Cette solution permettrait de continuer de jouer le jeu du progrès et de la performance sans fin. Mais dans quel but?

Une autre solution serait de rester humain (quoi que cela signifie) et que tous puissent (finalement) récolter les fruits de ce que nous voulions réaliser ensemble: transférer le labeur des Hommes vers les machines. Libérés du travail automatisable, les Hommes pourraient alors se consacrer à d’autres tâches créatrices. Place donc a beaucoup d’autres activités! A moins que l’on ne veille tous devenir des fabricants de robots. Plus sérieusement, dans le débat, on a souvent l’impression que les citoyens projettent leur propre désir d’entreprendre ou de ne rien faire s’ils recevaient un tel RBI. Attention donc à ne pas révéler sa propre paresse.

Notre système de redistribution des richesses, basé sur la rémunération du travail et du capital était approprié lorsque la richesse était créée principalement par l’Homme à l’aide de ses outils. Approprié dans une certaine mesure, car on sait bien que «les pauvres et la classe moyenne travaillent pour l’argent, les riches font en sorte que l’argent travaille pour eux» (Le Temps, 20 août 2015). Cela fait longtemps que la notion de «travail» est dissociée de celle de «richesse». Faisons donc en sorte que l’intelligence artificielle et les robots travaillent et créent de la richesse pour tous.

La révolution industrielle que nous sommes en train de vivre, remet donc en question ces principes qui nous semblaient immuables. Cette révolution devrait également s’accompagner d’une révolution du mode de redistribution qui pourrait bien être celle proposée par les partisans du revenu de base inconditionnel. En d’autres termes, les développements technologiques actuels rendent légitime le principe d’un revenu inconditionnel.

Si le travail humain n’est plus si central dans nos vies, cela nous donnerait plus de liberté pour explorer une infinité d’autres possibilités et d’expériences qui restent encore à découvrir. Difficile de prévoir quel type de monde nous allons créer. Mais face à différentes singularités technologiques, sécuriser un revenu de base inconditionnel pour tous prendrait tout son sens.

Johann Roduit, docteur en droit et éthique biomédicale, Managing Director du Centre d’Humanités Médicales de l’Université de Zurich. Egalement co-fondateur de NeoHumanitas, un think tank encourageant la réflexion sur les technologies émergentes. Il vient de publier The Case for Perfection: Ethics in the Age of Human Enhancement (Peter Lang, 2016).

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