La situation actuelle est difficilement comparable à celle de la crise du SRAS

Les images qui nous parviennent de Chine montrant l’épidémie de coronavirus semblent nous ramener dix-sept ans en arrière, au moment de la crise du SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère]. Cependant, comparaison ne vaut pas raison, le pays ayant énormément changé dans de nombreuses dimensions, en particulier celle de son système de santé, en première ligne pour enrayer l’épidémie.

Dispensaire et établissement hospitalier

En effet, lorsque le SRAS est apparu fin 2002, le système de santé mis en place après la prise de pouvoir par Mao en 1949 s’était totalement disloqué sans qu’un autre l’ait remplacé. Avant les réformes économiques, il était déjà très hiérarchisé et décentralisé. Et il dépendait de la cotisation des communautés rurales dans les campagnes, et des entreprises d’Etat dans les villes. Une personne malade se rendait dans un dispensaire, puis était redirigée vers un établissement hospitalier de niveaux d’équipement et de qualification du personnel variables suivant son besoin de santé. Ce modèle assurait des soins de base et la gratuité pour tous. Toutefois, le niveau de qualité des soins offerts était très inférieur à ce qui pouvait être observé dans les pays occidentaux à la même époque.

Les réformes économiques mises en place par Deng Xiaoping au début des années 1980, à l’origine du formidable boom de la Chine, ont en grande partie démantelé les grandes entreprises d’Etat et les coopératives agricoles, avec pour conséquence un tarissement des financements du système de santé. Ce dernier a alors connu un lent effritement jusqu’à son effondrement au début des années 2000.

L’épidémie de SRAS a donc frappé dans un contexte où une très large proportion de la population chinoise – 65 % vivant alors en zone rurale – n’avait plus accès aux soins pour des raisons financières. Cette situation a contribué probablement au manque observé de transparence dans la gestion de la crise sanitaire, fortement critiqué par la suite. En revanche, elle a amené les autorités à une prise de conscience de la nécessité de mettre en place un nouveau système de santé.

Couverture universelle des soins

De ce fait, la situation actuelle est difficilement comparable. D’une part, le pays lui-même a changé avec 60 % de la population vivant désormais en zone urbaine. D’autre part, le système de santé chinois, même perfectible, offre une couverture universelle des soins.

Pourquoi alors a-t-il semblé aussi rapidement débordé par les patients potentiellement atteints de coronavirus ? L’organisation du parcours de soins, fortement polarisé sur les grands hôpitaux en est probablement l’une des explications. En effet, le niveau de qualification des médecins et du personnel soignant n’est pas uniformisé comme en France. Ainsi, un médecin d’un dispensaire ne pourra avoir qu’une formation sommaire d’une ou deux années tandis qu’un médecin d’un hôpital de niveau 3A, équivalent à nos CHR/CHU, aura un niveau de formation comparable à celui de ses confrères français. Cet écart de formation étant de notoriété publique, la population se dirige en priorité vers des établissements de niveaux 3A, déjà extrêmement engorgés en temps normal. Outre l’embolisation des services d’urgence, cette polarisation crée un risque accru de dispersion du virus sur des populations médicalement vulnérables.

Avant cette épidémie, les autorités chinoises, ne parvenant que partiellement à rediriger les patients vers des centres de santé hors hôpitaux, ont favorisé le développement de consultations en ligne et l’utilisation de plates-formes digitales permettant de contrôler les flux de patients. Avec l’épidémie montante et l’angoisse de la population, la situation semble moins sous contrôle. Des posts sur Internet comme celui de Wuhan Health Commission, relayé par le Washington Post, faisaient état d’une pénurie de lits hospitaliers et de très longues files d’attente.

Ce post, ainsi que de nombreux autres, ont été vite retirés, mais le gouvernement ne s’est pas contenté d’une sélection de l’information diffusée. D’autres mesures drastiques ont été mises en place, pour rassurer le public chinois, et, ce qui est nouveau, l’opinion internationale. Le confinement de la population de Wuhan et d’autres villes de la province du Hubei en est bien sûr l’exemple le plus frappant. Il s’agit d’une mesure sanitaire autant que de communication pour montrer un gouvernement résolu et un pays à l’organisation efficace.

La déclaration du président Xi Jinping, insistant sur la gravité de la situation, vise à renforcer cette narration. Le chef de l’Etat présente son pays comme un Etat fort, en capacité de « remporter la bataille ». Alors que sa croissance ralentit, la Chine veut se présenter comme une superpuissance mondiale. Avec le programme des « nouvelles routes de la soie », elle souhaite développer son soft power et étendre sa sphère d’influence.

Les images du berceau de l’épidémie, ce marché aux fruits de mer insalubre et sans hygiène sanitaire, entrent en opposition avec la nouvelle image que la Chine véhicule aujourd’hui, une Chine moderne et triomphante. Elles avaient besoin d’être contrebalancées. Comment l’image du pays sortira-t-elle de cette crise et de cette mobilisation sans précédent ? Il est encore trop tôt pour le dire mais on ne peut qu’espérer que cela contribue à l’éradication rapide du virus.

Quoi qu’il en soit, il faut le rappeler, le principal dans les prochains jours est de mobiliser l’ensemble des populations en Chine comme à travers le monde pour appliquer les recommandations simples permettant de limiter la propagation du virus : en cas de doute sur ces symptômes, s’isoler pour limiter d’autres contaminations, et contacter les services médicaux adéquats.

Carine Milcent est économiste. Chercheuse au CNRS, elle est professeure associée à Paris School of Economics (PSE), spécialiste des systèmes de santé, notamment chinois.

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