La social-démocratie doit se profiler sur la gouvernance mondiale

Quel est l’avenir des forces progressistes, socialistes en Europe? En Europe de l’Ouest, seuls deux pays sont encore gouvernés à gauche: la Suède (avec les Verts) et le Portugal (avec une politique de relance intelligente). L’Italie bascule ces jours dans le populisme, aux mains de forces antisystème. Et trois grands pays à l’Est (Pologne, Hongrie et Tchéquie) sont dirigés, eux, par des forces nationalistes populistes. Comment se relever?

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la social-démocratie s’est imposée car elle a réussi à réguler le marché national (droit du travail et fiscalité notamment) et à pratiquer une politique nationale de redistribution sociale (Welfare state, service public, éducation…). L’enjeu pour l’UE et pour les progressistes européens au XXIe siècle est de parvenir désormais à réguler le marché mondial, à y redistribuer la richesse et à développer un Welfare state domestique ainsi qu’un marché du travail performant face à la digitalisation, la globalisation et les migrations. Pas une mince affaire.

La globalisation se révèle parfois gagnante: le chômage, la précarisation et les inégalités sociales ne doivent pas faire oublier le fait que la mondialisation des échanges et l’intégration économique ont permis globalement une forte réduction de la pauvreté et ont bouleversé les relations Nord-Sud: en vingt ans, de 1990 à 2010, 700 millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté et une importante classe moyenne s’est développée (surtout en Asie).

Régulation financière

Le protectionnisme et les guerres commerciales restent la politique du pire: ils appauvrissent le monde, stimulent la confrontation, la loi du plus fort, le nationalisme, comme l’offensive de Trump aujourd’hui, voire la haine, comme dans les années 1930. Non, c’est ailleurs que se trouvent les réponses: par le développement de politiques nationales et internationales de régulation, par la redistribution des richesses, par la promotion des valeurs de gouvernance mondiale (dans les accords de libre-échange, avec des clauses sociales et environnementales) et un multilatéralisme actif (ONU, FMI, OMC) mobilisant, outre les gouvernements, la société civile mondiale, le secteur privé, et le milieu académique.

Crispée sur ses politiques d’austérité, l’Europe a sacrifié sa jeunesse pendant la crise: le chômage des jeunes a augmenté de 24% au sein de l’UE entre 2007 et 2013 (+5,5 millions de jeunes). Pour retrouver crédibilité et attractivité, l’Europe doit maintenant donner de la voix sur ces thèmes globaux qui inquiètent. Sur l’Europe sociale, cela bouge: le Sommet de Göteborg de novembre 2017 a défini un socle européen des droits sociaux (égalité des chances, formation pour tous, protection sociale…). La politique environnementale est aussi cruciale: après la défaillance des Etats-Unis, l’UE a un rôle de leadership, avec la Chine, pour relever le défi climatique et lancer l’économie verte.

Légitimés par les Panama Papers, l’UE et l’OCDE ont pris des initiatives importantes qui touchent aussi la Suisse: l’échange automatique d’information, le reporting fiscal pays par pays, les listes noires ou grises de pays non/pas assez coopératifs, la lutte contre l’érosion de la base imposable et le transfert des bénéfices (dit BEPS): chaque année, entre 100 et 240 milliards de dollars échappent à l’impôt en toute légalité dans les pays OCDE. Et, à elles seules, les pratiques d’optimisation fiscale provoquent des pertes fiscales de 50 à 70 milliards d’euros par an dans les pays de l’UE. Confortable, la place financière suisse – toujours en tête du triste classement des paradis fiscaux – n’aurait, d’elle-même, pas bougé, en dépit des pressions des progressistes.

Partenariat africain

De leur côté, les inégalités de revenus et de fortune augmentent dans le monde comme en Suisse. Pire: Credit Suisse constate dans son dernier rapport sur la fortune mondiale que la Suisse, qui jouit de la fortune moyenne par habitant la plus élevée au monde (537 600 $), n’a pas connu de réductions des inégalités depuis un siècle! De façon globale, les inégalités augmentent non pas par le revenu du travail, mais par la hausse des actifs financiers (bourse), des actifs non financiers (immobilier, par ex.) ou les monnaies.

Outre l’harmonisation des politiques au sein de l’UE, le défi migratoire implique un nouveau partenariat avec l’Afrique, encore trop pauvre et exploitée. Sans parler d’une transition démographique non maîtrisée: l’Afrique comptait 1,2 milliard d’habitants en 2015, elle en comptera 2,3 milliards en 2050, dont 240 millions dans un Sahel pauvre et militarisé, aux portes du Sahara et de la Méditerranée. Ce partenariat doit promouvoir l’éducation et l’emploi, des femmes notamment, neutraliser le racket des multinationales et balayer les dictatures corrompues complices. A défaut, l’Europe et la Suisse courent le risque majeur de payer leur passivité en termes de flux migratoires incontrôlés.

Une Suisse européenne

Avec des politiques profilées (en Europe, en Suisse) sur ces défis majeurs, les opinions publiques comprendraient mieux que la globalisation n’est pas une «force surnaturelle» incontrôlable, qu’elle peut être dirigée, orientée pour devenir profitable au plus grand nombre, au Nord comme au Sud. Les populations inquiètes reprendraient confiance en leur avenir, en leur environnement régional et national dans un contexte ouvert, tolérant, démocratique, tournant le dos aux politiques populistes.

Même si sa vision actuelle se limite «aux bilatérales», la Suisse fait bel et bien partie de l’Europe économique, sociale, culturelle, de formation. Les réponses des forces progressistes, suisses et européennes, doivent se situer, se penser dans cet environnement européen et mondial.

Mario Carera, membre du Comité directeur du Parti socialiste suisse.


Mario Carera, contributeur de «Domaine public», où ce texte est paru dans sa version originale dans l’édition DP 2194.

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