La souveraineté des États en matière d’impôt en question

Le 8 octobre à Lima, les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant le rapport sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (« BEPS » [Base Erosion and Profit Shifting]) seront remis aux ministres des finances du G20.

« [Ces mesures] mèneront à un monde où toutes les corporations paient leur juste part d’impôts comme de bons citoyens du monde », s’enthousiasmait Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, lors de la présentation initiale de ce rapport.

Ces dernières décennies ont vu l’OCDE et les États lutter contre les phénomènes de double imposition, facilitant les échanges économiques internationaux, initiant ainsi une forte vague de croissance mondiale. Mais dans sa volonté d’empêcher deux États de compter le même revenu dans leur base de prélèvement – l’un imposant le revenu sortant, l’autre celui entrant sur son territoire – ou bien qu’un État n’impose une seconde fois un revenu déjà imposé dans l’État de provenance, l’OCDE aurait de façon involontaire créé les « interstices permettant la double non-taxation » des investisseurs et des entreprises.

Vaste machine médiatique et législative

En effet, les récentes publications anxiogènes sur les pratiques fiscales de certaines entreprises multinationales et les abus des systèmes fiscaux de certains États décrits avec souvent bien peu de rigueur comme des « paradis fiscaux » ont contribué à mettre en marche une vaste machine médiatique et législative visant à remettre de l’ordre dans les mécanismes fiscaux internationaux.

En parallèle, la crise de la dette rappelle avec douleur aux gouvernements la nécessité d’augmenter leurs recettes et ce, malgré le ralentissement économique que nous connaissons. Cette double urgence médiatique et politique a amené le G20 à se saisir de la question et à conduire d’ambitieux travaux sur le sujet avec l’OCDE dont l’objectif est de produire rapidement des recommandations finales efficaces en concertation avec l’ensemble des parties prenantes.

Malgré le ton alarmiste des débats gravitant autour de ce rapport, il faut rappeler que l’harmonisation des politiques fiscales de ces quelque vingt dernières années, visant à lutter contre les doubles impositions, a eu un effet positif considérable sur la capacité de nombreux États à attirer les investisseurs, en éliminant les redondances fiscales.

Dès lors, bien plus mobiles, les capitaux des entreprises européennes ont pu se déployer plus aisément sur de nouveaux marchés, tandis que nos pays ont su attirer les investisseurs étrangers en limitant les incertitudes concernant la capacité à tirer profit de leurs investissements sans être doublement imposés.

Contraintes mises en place de façon brutale

Ainsi, si des abus ont pu – et peuvent – se produire, il conviendrait au législateur de garder à l’esprit les résultats positifs de ces politiques d’harmonisation fiscale au niveau macroéconomique. Ce rapport BEPS de l’OCDE a - et continuera d’avoir - un impact significatif sur le système fiscal international, augmentant les exigences en matière de substance et de déclarations pour les contribuables, mais également en matière d’échange d’informations.

Il convient d’ajouter que l’agressivité des administrations fiscales risque d’être accrue, notamment en matière de prix de transfert, domaine régissant la fixation du prix des services rendus entre sociétés liées.

De plus, autrefois concentrée sur la fluidification des échanges internationaux à travers les conventions fiscales, la fiscalité internationale menée par l’OCDE, semble aujourd’hui faire un virage à 180 degrés en souhaitant maintenant éviter tout phénomène de double non-imposition.

Dans un contexte de croissance molle, ce changement de cap n’est pas sans soulever des problématiques opérationnelles pouvant ainsi obérer le développement des échanges internationaux par l’apparition de fortes contraintes mises en place de façon brutale.

Inquiétante translation vers le champ de la morale

Par ailleurs, la question de la souveraineté des États en matière d’impôt mérite d’être soulevée. Quelle pourrait être la marge de manœuvre de chaque État dans un monde où les bases de prélèvements semblent maintenant s’établir au niveau supra national ?

Dans un tel monde où la base imposable serait standardisée dans tous les États, la variable d’ajustement va alors se déplacer vers le taux d’imposition faisant de la diminution de ce dernier une arme de l’attractivité fiscale des États. Ce phénomène renforcera ainsi la concurrence entre les États pour devenir le standard comportemental dans l’arène de la fiscalité internationale étatique. Enfin, un dernier phénomène est à observer : la moralisation du droit fiscal.

Le droit fiscal est, en principe, l’application du budget voté par l’assemblée compétente selon les règles du droit budgétaire. Il s’agit donc d’une matière appartenant au champ législatif. Maintenant que la notion de « bons citoyens du monde » semble avoir une place prépondérante dans l’application des règles fiscales, une inquiétante translation de la fiscalité du champ législatif vers le champ de la morale est à craindre.

Ce glissement risque de n’apporter d’autres effets que de l’insécurité juridique, un accroissement exponentiel des contentieux fiscaux et une défiance toujours plus grande face à l’impôt de la part des contribuables, lesquels restent, jusqu’à preuve du contraire, de « bons citoyens du monde ».

Guilhèm Becvort (Tax Associate – Atoz Luxembourg, membre du réseau Taxand)

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