La stabilité des “blockchains” n’est en réalité pas garantie

Qui aujourd’hui n’a jamais entendu parler des bitcoins ? Les pirates qui se sont attaqués en mai et juin 2017 aux systèmes informatiques de milliers d’organisations dans le monde, ont réclamé une rançon libellée dans cette monnaie virtuelle. Son succès est tel que ses cours s’emballent.

Un bitcoin valait en 2009 quelques millièmes de dollars. Le 11 juin 2017, il s’échangeait contre plus de 3 000 dollars ! D’autres devises tout aussi virtuelles commencent également à percer comme l’ether, le monero, le ripple ou le dash. Il suffit de quelques clics sur son portable pour pouvoir faire des achats ou être payé ainsi, dans ces crypto-monnaies qu’aucune banque centrale ne garantit.

Quel intérêt ? C’est la question que certains posaient au début des années 1990 quand on leur parlait du développement d’un certain réseau Internet. Il s’agit en réalité d’une révolution dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. Plus besoin de se référer à une autorité de confiance.

Technologie mise en œuvre en janvier 2009

Les échanges sont gravés sur des registres partagés, décentralisés dans le monde entier et sécurisés à l’aide de techniques cryptographiques. Les transactions sont enregistrées par blocs validés les uns après les autres par des opérateurs qui mettent à disposition des capacités de calcul de plus en plus imposantes et qui sont payés en monnaie virtuelle pour ce travail.

Cette technologie, baptisée « blockchain », a été conçue en 2007 et mise en œuvre en janvier 2009 au lendemain de la crise financière. L’incapacité des banques centrales à avoir prévenu une telle crise aux conséquences dévastatrices a probablement joué un rôle dans l’émergence de ces organisations monétaires alternatives.

Ce mouvement est-il irréversible ? Tout repose en fait sur la confiance. Une transaction effectuée dans ce système acéphale doit être gravée dans le marbre, afin que personne ne puisse, à aucun moment, nier son existence ou l’annuler. Des registres partagés, reconnus par tous et inviolables, telle est la promesse centrale de ce système. L’envolée du bitcoin, même si son cours reste extrêmement volatil, laisse penser que beaucoup y croient.

Mais certains signaux ne manquent pas d’inquiéter.

Des désaccords entre les principaux acteurs du système ont, à plusieurs reprises, conduit à la création de « fourches », c’est-à-dire d’apparition de registres concurrents, intégrant ou non certaines transactions récentes. Les utilisateurs de l’ether, en particulier, ont été confrontés en 2016 à une erreur de programmation permettant un détournement de fonds et aboutissant à des positions divergentes au sein du réseau.

Un bitcoin concurrent

Les participants n’ont pas réussi à parvenir à un accord sur les transactions à accepter par la suite. Leurs désaccords ont abouti à la création d’une fourche ouvrant sur deux chaînes de blocs. L’ether n’a plus été reconnu par l’ensemble de la communauté. Deux monnaies dès lors ont coexisté, l’ether et l’ether classique, toujours en circulation.

Le bitcoin va-t-il de la même manière se dédoubler ? La question est actuellement posée. La création d’un bitcoin concurrent est envisagée car la communauté est divisée sur la question de l’amélioration de la capacité de traitement des transactions au sein du réseau, une amélioration indispensable à son développement.

Il n’est pas facile en réalité de fonctionner sans autorité centrale. Nos recherches, menées avec Bruno Biais, Catherine Casamatta (CRM Toulouse) et Matthieu Bouvard (université Mc Gill, Canada), s’appuient sur la théorie des jeux et montrent que la coordination entre les acteurs n’aboutit pas à tous coups à un consensus parfait.

Le Nasdaq utilise déjà le système

L’apparition simultanée de registres différents est toujours possible, ce qui peut amener à la création de fourches temporaires ou permanentes dans la chaîne, même en l’absence d’acteurs malveillants. La stabilité de ce système à l’apparence si prometteuse n’est en réalité pas garantie.

Que faire dans un tel contexte ? Se détourner de ces nouvelles monnaies virtuelles dont les risques d’instabilité sont trop élevés ? En réalité, la technologie blockchain présente de tels avantages que peu d’acteurs économiques vont totalement refuser le risque.

Mais plutôt que des blockchains publiques qui se présentent comme des systèmes totalement alternatifs aux systèmes monétaires classiques, on va probablement assister à l’éclosion de multitudes de blockchains privées, permettant des échanges dans des cadres fermés ou relativement fermés, autour de consortiums : deux tiers des banques françaises envisageaient de mettre en place des solutions blockchain dans les trois ans, selon une étude récente d’IBM ; aux États-Unis, le Nasdaq utilise déjà le système ; en Australie, la bourse envisage de faire basculer dans les années à venir son système de règlement-livraison de titres sur une blockchain…

Par Christophe Bisière, chercheur au Centre de recherche en management (CRM) de Toulouse.

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