La Syrie et le plan Annan, un marché de dupes ?

La crise politique syrienne engagée dès mars 2011, s'est traduite par une montée progressive de la violence atteignant aujourd'hui le triste record de plus de 10 000 morts. L'opposition démocratique avait cru qu'une poussée de masse pacifique suffirait à faire changer le régime voire à le renverser. Mais c'était oublier que le régime baassiste, qui est d'abord l'expression d'un clan, se trouvait le dos au mur. Faute d'imaginer un avenir différent, le président Bachar El Assad ne trouva de solution que dans l'expression de la violence extrême - les vieilles recettes de ses pères.

L'insurrection syrienne ne trouva pas dans les Nations Unies le soutien que la libyenne avait connue. Déjà réticents dans l'affaire libyenne, la Russie et la Chine s'opposèrent à la destruction d'un régime dont la disparition menaçait autrement leurs intérêts. Ces deux pays bloquèrent deux résolutions des Nations Unies mais finirent par se rallier à la médiation de l'ancien secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan désigné représentant spécial par l'actuel secrétaire M. Ban Ki Moon.

Ce plan, approuvé le 21 mars par le Conseil de sécurité des Nations Unies, préconisait notamment la cessation de toute forme de violence armée par toutes les parties sous supervision de l'ONU, la fourniture d'aide humanitaire à toutes les zones affectées par les combats et la libération des personnes détenues arbitrairement.

En raison des conditions compliquées liées à son émergence et avant même de s'interroger sur sa viabilité, il faut noter que le plan Annan pose un certain nombre de problèmes méthodologiques graves pour les trois points principaux qu'il préconise :

1) il met les deux parties sur un pied d'égalité comme si les forces syriennes libres et les insurgés étaient à parité militaire avec les forces du régime. Or nous sommes en état d'asymétrie absolue et que la violence la plus forte a toujours été du côté du régime.

2) il pose la question d'un problème humanitaire, comme si nous nous trouvions en situation de catastrophe naturelle. Or nous sommes dans une situation d'encerclement de quartiers ou de villes par des forces de sécurité du régime.

3) enfin, il demande la libération respective des prisonniers - à ce que Dieu ne plaise, ce sont les geôles syriennes qui sont remplies d'opposants - On ne peut les comparer aux quelques prisonniers détenus par les insurgés. Bien sûr on peut considérer que M. Annan a établi cette parité pour ménager le régime et emporter l'adhésion sino-russe ; mais on peut craindre a contrario que cette formulation donne des arguments au régime pour justifier qu'il a à combattre une menace de même intensité porteuse de destructions similaires - assimilation qui le contraint à une riposte équivalente !

Le plan Annan a été facilement endossé par la Ligue arabe parce qu'il ménage les craintes de ceux qui redoutent la chute du régime pour de bonnes ou mauvaises raisons (déstabilisation du Proche-Orient, risque de contagion, ...) alors que certains de ses membres proposent d'armer les insurgés (au premier chef le Qatar et l'Arabie Saoudite) s'ils ne le font pas déjà. Ceci étant, l'ingérence prudente de la Ligue arabe dans les affaires intérieures d'un pays membre peut être qualifiée de révolutionnaire quand on sait que cette organisation multilatérale s'interdisait jusqu'il y a peu, de condamner les coups d'Etats se produisant au sein de l'un d'entre eux. Depuis l'affaire libyenne (lorsqu'elle a endossé la résolution de l'ONU), un pas a été franchi. Rappelons également, qu'au sommet de Bagdad, la Ligue ; qui avait déjà suspendu la Syrie, a souligné le "juste désir de liberté" des peuples arabes - un pas de plus .....

Peut-on imaginer une évolution des positions russes et chinoises ? Depuis les élections présidentielles russes, on semble assister à un frémissement. Des critiques prudentes ont été émises par différents canaux. La présidence russe a déclaré que les propositions de Kofi Annan étaient "la dernière chance" pour y éviter une "guerre civile prolongée" et assuré que la Russie, principal allié de Damas, ferait tout pour le mettre en oeuvre. Mais elle a souligné dans la même phrase que le départ du président syrien Bachar al-Assad est une idée "à courte vue" qui ne règlerait pas la crise syrienne.De son côté, le chef de la diplomatie russe s'est encore dit opposé à toute pression sur Damas concernant le plan Annan, estimant que "les ultimatums et les délais artificiels sont rarement utiles".

Par ailleurs, on voit peu d'évolution de la position chinoise. Pour chacun des deux protagonistes, les raisons du soutien au régime syrien différent. Pour les Russes, il y a la préservation des intérêts stratégiques liés à la base navale de Lattaquié et l'énorme dette militaire héritée de l'Union soviétique. Pour les Chinois, c'est plus la stabilité globale du Moyen-Orient et ses conséquences sur l'Iran qui est en cause, mais aussi le désastreux effet boule de neige démocratique que le gouvernement chinois redoute pour son propre pays - rappelons qu'il avait censuré toutes les révolutions arabes sur internet l'année dernière.

Du côté de l'opposition, le groupe des "Amis du peuple syrien", réuni dimanche dernier à Istanbul, a appelé à fixer "une date limite" pour l'application du plan Annan et défendu le droit à l'autodéfense du peuple syrien. La difficulté est que tant chez les " Amis "qu'au sein des insurgés (CNS et Armée libre) on diverge sur la conduite à tenir pour la suite : généralisation de la lutte armée ou étranglement politique et diplomatique du régime.

Evidemment, le gouvernement syrien a donné son accord au plan Annan. Les autorités annoncent la mise en place du plan débutant par le cessez-le-feu et un désengagement militaire - qui devrait être accompli le 10 avril -, ainsi que l'acheminement de l'aide humanitaire. Comme cette annonce se couple avec la poursuite d'une répression appuyé par des moyens blindés, il semble que deux objectifs soient poursuivis par le régime : avancer au plus vite sur le terrain avant le 10 avril, puis renvoyer la responsabilité du non respect de la trêve sur les insurgés.

Au final, c'est à un pas de deux que nous assistons au Proche-Orient. Les Nations Unies cherchent à trouver une voie médiane qui ménage tous les protagonistes et contourne les vetos potentiels. Mais quel résultat en attendre sur le fond ? Il ne faudrait pas que cet exercice subtil ne se traduise en jeu de dupes. La stratégie du gouvernement syrien, c'est épuiser toute forme d'opposition interne ou externe et de démontrer sa survivabilité quels que soient les aléas. Le régime prépare les élections législatives un moment de plus pour démontrer qu'il a bien pris en compte les aspirations du peuple et que la normalité se rétablit et, qu'au final, la crise d'un an, de mars à mars, n'aura été que passagère et minoritaire.

Jean-François Daguzan, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et directeur de la revue Maghreb-Machrek.

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