La taxe carbone aux frontières de l’Union européenne est un acte de « protectionnisme aveugle »

i Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, est déterminée à infléchir les courbes du réchauffement climatique, il y a mieux à faire qu’envoyer des signaux d’entrave au libre-échange. Le projet de taxe carbone aux frontières de l’Union européenne (UE) risque d’être vu comme un acte protectionniste, alimentant la guerre commerciale et reléguant la lutte contre le changement climatique au second plan. Le réchauffement de la planète est un problème planétaire qui requiert une solution planétaire, pas une solution qui exacerbe la concurrence internationale.

Selon une étude publiée par le médiateur des entreprises et EcoVadis en 2019, la performance environnementale moyenne des entreprises françaises est nettement supérieure à celle des entreprises issues de la zone BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Mais le rapport souligne également que malgré leur bon score moyen, 31 % des entreprises françaises sont considérées à risque, alors qu’a contrario 32 % des entreprises de la zone BRICS ont des résultats positifs.

Le protectionnisme est aveugle. La « barrière verte » de l’UE favoriserait mécaniquement toutes les sociétés européennes au risque de choisir des entreprises plus émettrices de carbone que d’autres opérant en dehors de l’Europe. Une taxe carbone aux frontières est donc un dispositif sous-optimal.

L’idée de la Commission d’utiliser le carbone imbriqué dans les marchandises importées est cependant intéressante. Mais plutôt que de taxer les partenaires hors UE, il serait mieux d’inciter les acheteurs européens du secteur public et privé à intégrer dans leurs décisions d’achats les données relatives aux émissions de gaz à effet de serre (GES) aussi bien pour les approvisionnements locaux que pour les importations. Ainsi, les acheteurs opteraient pour les meilleurs au regard de l’empreinte carbone quel que soit le pays d’origine. Les acheteurs des grands groupes sont déjà sur cette voie.

L’Oréal et Wal-Mart

Le baromètre Ecovadis NYU Stern University 2019 révèle que l’engagement en faveur des « achats durables » est une priorité pour 81 % des entreprises interrogées. L’Oréal, par exemple, qui cible la neutralité carbone d’ici 2020, a mis en place un programme de « sourcing responsable » visant à sélectionner les sous-traitants les plus vertueux. L’américain Wal-Mart de son côté ambitionne une baisse des émissions de GES chez ses fournisseurs d’une gigatonne d’ici 2030.

De plus, si les fournisseurs sont affectés par le changement climatique, leurs clients le seront aussi. Donc, pour se protéger, mieux vaut choisir les partenaires les mieux préparées. Intégrer les émissions de GES dans les achats est à la fois un management intelligent et une manière de contrer le dumping environnemental.

La philosophie du « client est roi » peut aussi jouer. Rappelons que l’Europe est cliente : en 2018, l’UE a importé 66 % de plus de produits de la zone BRICS qu’elle en a exporté. Les donneurs d’ordres pourraient encourager leurs fournisseurs à aligner leurs objectifs de réduction sur 2 °C. Nous pourrions équiper d’applications « carbone » les places de marché « business to business » sur lesquelles acheteurs et fournisseurs collaborent déjà, afin de favoriser la diffusion des bonnes pratiques.

Selon le groupe de réflexion et de recherche Global Carbon Project, si nous intégrions le carbone importé, les émissions de nombreux pays européens croîtraient de plus de 30 % tandis que celles de la Chine baisseraient de 13 %. Cela montre que nous sommes tous dans le même bateau et que la clé du succès n’est pas une taxe douanière. Il est encore temps de réagir.

Sylvain Guyoton (Directeur de la recherche d’EcoVadis, agence de notation de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises)

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