La théorie monétaire moderne libère de la peur de l’endettement

Aux Etats-Unis se répand une « théorie monétaire moderne » (TMM) non orthodoxe qui soulève une véritable polémique car les économistes classiques la trouvent extravagante. L’idée centrale de cette théorie est que la création monétaire par un Etat qui s’endette dans sa propre monnaie – c’est-à-dire qui fait marcher sa planche à billets – pourra toujours être remboursée dans cette monnaie. Cette pratique ne présenterait donc aucun inconvénient pour cet Etat. A condition, évidemment, qu’à cette création monétaire corresponde une création équivalente de biens et de services.

Les politiques des banques centrales américaine (Fed) et européenne (BCE), confrontées à la crise financière depuis 2007, sont conformes à cette théorie. Leur politique de rachat des dettes des Etats n’a provoqué aucun déséquilibre inflationniste. L’inflation est restée inférieure à 2 %. La reprise sans inflation a été particulièrement nette aux Etats-Unis.

Avant la crise de 2007, la totalité des titres et des prêts de la BCE étaient de l’ordre de 1 000 milliards d’euros. En 2019, cette somme atteint 4 700 milliards d’euros, soit 40 % du produit intérieur brut (PIB) de la zone euro. Cette politique monétaire dynamique a évité l’aggravation de la crise, et elle n’a pas provoqué d’inflation.

Rentiers et capitalistes détestent l’inflation

La théorie monétaire moderne s’oppose à la théorie monétaire classique, qui prévaut dans les milieux d’affaires et les places financières. Cette théorie se résume, dans sa version la plus simple, par l’égalité MV = PQ, où M est la masse monétaire, V la vitesse de circulation de la monnaie (c’est-à-dire les habitudes de paiement des acteurs économiques), P le niveau général des prix, et Q la production des biens et des services.

Selon les économistes classiques, V et Q ne varient pas avec le temps. Seul P, les prix, varient en fonction de la masse monétaire, M.

Si M augmente, les prix augmentent, l’activité est stimulée, les stocks diminuent, et c’est la crise d’inflation. Mais, en conséquence, la valeur des rentes et de tous les revenus du capital diminue. C’est pourquoi les rentiers et les capitalistes détestent l’inflation.

Dans le cas contraire, si M diminue, les prix diminuent, l’activité aussi, le chômage apparaît, les stocks augmentent, et c’est la crise de déflation (1929, 2007). Mais les rentes et les revenus du capital sont valorisés par la baisse des prix, et les inégalités s’accroissent.

Pour la théorie monétaire moderne, les quatre éléments de l’égalité MV = PQ peuvent varier. Ni les habitudes des acteurs (V) ni les quantités produites de biens et de services (Q) ne sont des constantes. C’est pourquoi la politique monétaire moderne doit s’adapter en permanence aux variations de V et de Q.

Au cours de la crise actuelle, la politique d’assouplissement monétaire aux Etats-Unis et en Europe n’a pas provoqué de hausse des prix, tout en évitant l’aggravation de la crise. L’inflation n’a jamais atteint plus de 2 %, objectif de la BCE et de la Fed pour stimuler les économies et provoquer la relance. C’est la vérification d’un premier volet de la théorie monétaire moderne : l’accroissement de la masse monétaire ne provoque pas nécessairement l’inflation, mais peut stimuler l’activité économique.

Une véritable économie de l’écologie

Malheureusement, les Etats en crise, au lieu de profiter de cette politique monétaire active, ont mené de leur côté une politique d’austérité, préférant accroître leurs réserves monétaires plutôt que de les injecter dans leur économie. D’où un allongement de la durée de la crise. Deuxième vérification de la TMM, les Etats-Unis et l’Union européenne se sont endettés dans leur propre monnaie : le dollar et l’euro.

Dans Le Monde daté des 7 et 8 juillet 2019, l’économiste Thomas Piketty pose la question : « La création monétaire peut-elle nous sauver ? ». La réponse est oui, à condition que l’on utilise cet argent pour répondre aux « défis considérables qui sont les nôtres… La monnaie peut aider à condition de ne pas la fétichiser et de la remettre à sa place : celle d’un outil au sein d’un système collectif ou l’impôt et le Parlement doivent conserver le rôle central ».

A condition, aussi, qu’en face de la monnaie se trouve une économie qui produira les biens et les services correspondants aux objectifs à atteindre : amélioration des niveaux de vie, maîtrise du réchauffement climatique, suppression des déchets, réduction des inégalités, etc. Ce qui implique une véritable économie de l’écologie. Se contenter d’imposer de nouvelles taxes écologiques, c’est recourir à l’écologie punitive qui révolte les citoyens et compromet l’écologie elle-même.

Il est absurde d’opposer économie et écologie. On ne peut refuser les moyens matériels d’une politique écologique réaliste et efficace, et en rester au bricolage artisanal. Sans une économie à son service, l’écologie demeurera un mythe.

La théorie monétaire moderne, en libérant l’argent de la peur de l’endettement, peut permettre de promouvoir l’économie du futur, celle de l’écologie.

Gilbert Blardone est le fondateur et le président d’honneur de l’Association François-Perroux, et l’auteur de La Crise 2007-2014. Chronologie, analyse et perspective (éditions Bookelis, 2014).

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