La transparence économique doit profiter à l’Afrique

L’Afrique retient de plus en plus l’attention de la communauté internationale. Et l’influence politique de l’Afrique au niveau mondial augmente. S’appuyant sur une décennie de forte croissance et de ­stabilité macroéconomique, la démocratie plante toujours plus profondément ses racines, le dynamisme de la société civile tient les gouvernements en alerte et les politiques gouvernementales s’améliorent. Désormais, l’Afrique constitue une destination de plus en plus attrayante pour les investisseurs, qui reconnaissent son élan et sa créativité. Elle indique les taux de croissance économique parmi les plus élevés du monde. Et, en effet, le FMI prédit que, durant la prochaine décennie, parmi les dix économies qui connaîtront la croissance la plus rapide, six seront africaines.

Plus fascinant encore, les progrès que l’Afrique a réalisés en ce qui concerne les Objectifs du Millénaire pour le développement. Plus d’enfants que jamais vont à l’école, par exemple. Et de moins en moins de mères et d’enfants meurent. […] Grâce à une main-d’œuvre jeune, toujours plus nombreuse et peu chère, l’Afrique pourrait devenir un centre manufacturier très compétitif en même temps que l’un des principaux marchés de consommation du monde. Le développement d’un commerce intra-africain offre aussi un énorme potentiel. Aujour­d’hui, seul 10% du commerce africain se dirige vers d’autres nations du continent, tandis qu’en Amérique du Nord, le commerce intra-continental représente 40% des échanges, et 63% en Europe. L’amélioration des réseaux de transport, rail et routes, pourrait générer 250 milliards de dollars supplémentaires en commerce intra-africain d’ici à quinze ans. […]

L’Afrique est aussi confrontée à des défis majeurs. Une décennie de croissance impressionnante n’a pas produit des améliorations comparables en matière de santé, d’éducation et de nutrition – et, dans de nombreux pays, elle s’est traduite par un fossé toujours plus large entre riches et pauvres. L’Afrique doit créer des emplois assez vite pour répondre à la croissance de sa jeune et dynamique main-d’œuvre. Nous avons déjà observé comment la frustration et la colère face à la corruption et à la passivité des gouvernants peuvent créer de dangereuses tensions sociales et politiques.

Pour éviter ces tensions, les gouvernements africains doivent renforcer les systèmes de santé et d’éducation au moyen de dépenses publiques plus efficientes et équi­tables, tout en mettant l’accent sur l’égalité des sexes. Ils doivent aussi supprimer deux obstacles majeurs au développement – le manque d’infrastructures et un accès insuffisant aux ressources énergétiques.

Une gestion judicieuse des incroyables richesses naturelles de l’Afrique est une priorité. […] Le continent détient quelque 30% des réserves minérales de la planète, et un pourcentage encore plus élevé d’or, de platine, de diamants et de manganèse. Tandis que les nouvelles prospections ne cessent de révéler des réserves encore plus importantes que prévu. En vérité, l’Afrique s’apprête à profiter d’extraordinaires ressources naturelles qui pourraient changer la face du continent, réduire sa dépendance vis-à-vis de l’aide internationale au développement et le mettre sur la voie de l’autosuffisance. […]

Les gouvernements d’Afrique doivent gérer avec sagesse les recettes issues de l’exploitation de ces ressources afin de sortir des millions d’habitants de la pauvreté. Les fonds souverains, c’est bien et on en entend beaucoup parler, mais j’exhorterais les dirigeants à investir davantage pour soulager les besoins humains pressants qui freinent le développement de l’Afrique.

S’ils continuent à fonctionner comme si de rien n’était, l’Afrique et ses partenaires manqueront l’opportunité de transformer l’existence des générations actuelles et à venir. Ce danger a été démontré dans le rapport intitulé «Equity in Extractives», publié ce printemps par le Panel pour le progrès en Afrique, que j’ai l’honneur de présider.

Les ressources naturelles de l’Afrique appartiennent à juste titre aux citoyens de ce continent. Pourtant, le détournement des revenus, la corruption, l’augmentation du chômage et les inégalités croissantes privent ces citoyens de ces bé­néfices. En Guinée Equatoriale, un pays riche en pétrole, l’économie a indiqué une croissance de 17% par an en moyenne ces dix dernières années. Aujourd’hui, le PIB par ­habitant est plus élevé que celui de la Pologne. Et pourtant, les trois quarts de la population vivent dans la pauvreté et le taux de mortalité enfantine est l’un des plus élevés du monde. Comment expliquer cela?

[…] Pour commencer, les gouvernements africains devraient adopter des stratégies nationales fixant les modalités de développement de leurs ressources naturelles, et lier ces stratégies aux programmes de réduction de la pauvreté et de croissance inclusive. […]

En se fondant sur la Vision du régime minier de l’Afrique, un schéma directeur pour le développement formulé par les nations africaines, les gouvernements africains devraient adopter une légis­lation exigeant des entreprises qui décrochent des concessions et des licences qu’elles déclarent l’intégralité de leur propriété bénéficiaire. Les adjudications et les octrois de concessions doivent être ouverts et transparents. […]

Le manque de transparence a un prix – pour les gouvernements, les investisseurs et les citoyens, comme le montre l’exemple de la Guinée. En 2008, le gouvernement de ­l’époque a retiré à Rio Tinto la moitié de ses droits d’exploitation de ses énormes gisements de minerai de fer de Simandou, pour les céder à une autre entreprise à un prix nettement inférieur à leur valeur. Deux ans plus tard, la même entreprise a vendu 50% de ses droits à la société brésilienne Vale pour 2,5 milliards de dollars, réalisant ainsi un profit de plus de 3000% en deux ans – l’équivalent de 2,4 fois le budget national de la Guinée en 2011. […]

Actuellement, 12 pays africains se sont mis en conformité avec l’Initiative pour la transparence au sein de l’industrie extractive (ITIE), qui a annoncé récemment des normes encore plus rigoureuses. De plus en plus souvent, des gouvernements tels que ceux du Ghana, de la Guinée et du Liberia publient en ligne leurs contrats gaziers, miniers et pétroliers. Les changements apportés au code minier guinéen pourraient augmenter le revenu minier annuel du pays d’une moyenne de 123 millions de dollars à 3,15 milliards de dollars d’ici à 2017. Et les multinationales doivent aussi améliorer leur comportement. […]

Mais une «minorité bruyante» subsiste. Par exemple, le rapport du Panel pour le progrès en Afrique a analysé cinq transactions en République démocratique du Congo. Les cinq transactions se sont caracté­risées par des pratiques commerciales opaques, avec les gouvernements qui ont vendu des droits d’exploitation minière à des prix dérisoires à des intermédiaires qui les ont revendus moyennant d’énormes bénéfices à des compagnies minières de bonne foi.

Du fait que ces biens nationaux ont été sous-évalués, ces cinq transactions ont coûté 1,4 milliard de dollars à la RDC et à ses citoyens. Une somme équivalant à deux fois le budget de la santé et de l’édu­cation – un scandale dans un pays qui connaît une malnutrition galopante, le sixième taux de mortalité infantile du monde et plus de 7 millions d’enfants non scolarisés.

Pendant ce temps, les intermédiaires ont réalisé des profits par le biais de sociétés-écrans dans des paradis fiscaux à l’étranger. En déclarant leurs bénéfices dans des pays avec des taux d’imposition plus bas, les multinationales soustraient à l’Afrique des revenus très précieux.

Mais, une fois encore, je suis optimiste. Certaines multinationales se distinguent par leur engagement pour plus de transparence. Rio Tinto, par exemple, publie les détails de ses paiements aux gouvernements, ainsi que des informations concernant leurs impôts et bénéfices nets. Depuis 2007, la ­norvégienne Statoil a aussi publié ses paiements auprès des gouver­nements. Les efforts d’un groupe de lobbyistes basé aux Etats-Unis, l’American Petroleum Institute, pour garder les flux financiers secrets ne sont qu’une petite déviation passagère sur la route qui mène à plus de transparence.

J’exhorte la Commission américaine des titres et de la bourse à maintenir des normes de transparence élevées. Le Dodd-Frank Act, une loi régulant le secteur bancaire et financier, est une législation impressionnante qui confirme le leadership américain sur ce sujet.

J’exhorte les multinationales à faire ce qui est juste sans attendre que les gouvernements ne légifèrent. Les multinationales doivent reconnaître qu’elles jouent un rôle social crucial – et qu’agir de manière équitable est en fin de compte bon pour les affaires.

Une gouvernance d’entreprise transparente forge les réputations, réduit le risque politique et permet aussi de remporter un plus grand nombre de contrats d’exploitation minière. De nombreuses sociétés de négoce des matières premières sont basées en Suisse et elles feraient bien de suivre la même voie.

En Afrique, les groupes de la société civile ont un rôle crucial à jouer en tenant les politiques et les entreprises en alerte. Ils doivent exiger que les accords commerciaux entre leurs pays et les multinationales soient équitables et réciproquement profitables. […]

Soyons clairs: l’évasion fiscale est peut-être légale, oui, mais exagérée, elle est devenue immorale, injus­tifiable et inacceptable. L’évasion fiscale a peut-être été autrefois considérée comme acceptable et comme une pratique standard. Mais aujourd’hui, elle coûte à l’Afrique bien plus que ce que le continent ne reçoit en termes d’aide internationale et d’investissements étrangers directs. Selon les estimations, la falsification des prix, une technique permettant de payer moins d’impôts, coûte quelque 38 milliards de dollars par an à l’Afrique, plus que les 33 milliards de dollars en investissements directs ou les 30 milliards en aide au développement.

La communauté internationale doit forger une réponse multilatérale crédible et efficace. Et pour cela, les comportements doivent changer. […] D’ailleurs, de plus en plus de gouvernements développent une législation robuste pour accroître la transparence dans le secteur minier. Six des huit pays du G8 ont déclaré qu’ils s’apprêtaient à rejoindre l’ITIE. […]

Nous avons des raisons d’être optimistes – mais nous devrions tempérer cet optimisme avec de la ­vigilance et de l’attention. Permettez-moi d’évoquer trois préoccupations particulières.

Premièrement, nous devons nous assurer que le combat contre l’évasion fiscale prenne en compte les contraintes réelles auxquelles se heurte l’Afrique. Naturellement, les pays de l’OCDE doivent partager l’information. Mais les autorités ­fiscales africaines peuvent avoir ­besoin de soutien financier et technique afin de construire la capacité nécessaire pour être eux aussi en mesure d’accéder à cette information cruciale.

Deuxièmement, il faut qu’une masse critique de pays du G8 et du G20 acceptent de légiférer sur ­l’obligation pour les entreprises enregistrées dans des paradis fiscaux étrangers d’informer le public en matière de propriété bénéficiaire.

Troisièmement, nous devons passer de la parole aux actes. L’un des principaux secteurs des services mondiaux – le conseil fiscal – apporte le savoir-faire le plus pointu du monde sur l’évasion fiscale. En réponse, ces six derniers mois, les gouvernements ont adopté d’excellents principes afin de relever les défis fiscaux globaux. Aujourd’hui, les gouvernements doivent franchir l’étape suivante et traduire ces principes dans cet insaisissable objectif de politique publique – la mise en œuvre de l’équité fiscale. […]
Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies

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