La Turquie et l’OTAN : « une clarification de la politique d’Ankara est devenue nécessaire »

La réunion des dirigeants de l’OTAN, le 25 mai, à Bruxelles, est la première apparition du président Macron dans le cercle très personnalisé des sommets. L’ampleur de sa victoire et son engagement européen lui donnent une position forte, avant même les sommets qui suivront (G7, Union Européenne, G20). Au-delà des sujets prévisibles abordés ce jour – lutte contre le terrorisme, déploiement en Europe centrale, Afghanistan, efforts européens de financement de l’OTAN – un pays, la Turquie, retiendra l’attention à la table des chefs d’Etats.

Au sein de l’OTAN, Ankara semble prête à renoncer à participer, sous des motifs prétendument industriels, à la mise en place du bouclier anti-missiles, au profit d’un système russe – des missiles S400 – naturellement incompatible avec celui de l’OTAN. Ceci créerait un vide stratégique au sud-est de l’Europe. Pour Moscou, l’opportunité est réelle : extraire d’un pouvoir turc redevable envers la Russie (après la destruction d’un chasseur Soukhoi en novembre 2015 et à l’assassinat de son ambassadeur à Ankara en décembre 2016) une décision hautement embarrassante pour l’OTAN.

Le maillon affaibli

Le commandement militaire de l’OTAN se trouve par ailleurs privé de la plupart de ses interlocuteurs habituels au sein des forces turques puisque 40 % des généraux et amiraux ont été limogés et quelque quatre cents officiers retirés des structures militaires de l’Alliance. La seconde force conventionnelle de l’OTAN en constitue aujourd’hui un maillon affaibli. Les demandes d’asile politique déposées par nombre d’officiers turcs auprès de pays européens constituent un motif d’irritation supplémentaire.

De surcroît, pour Ankara, la lutte contre l’organisation de l’état islamique vient clairement après l’objectif d’affaiblissement des Kurdes syriens, considérés comme alliés du PKK turc. C’est là l’inverse exact de la stratégie militaire de Washington et de Paris pour qui les forces kurdes syriennes du YPG constituent le pivot de la prise de Raqqa. En outre, affaiblir les Kurdes syriens bénéficie bien plus à Ankara que la mise en ligne de ses troupes pour annihiler les combattants sunnites de Daech.

Face à l’Union Européenne, la Turquie a perdu toute crédibilité. Les invectives de mars envers les dirigeants européens (« Nazis », « chambres à gaz »), la purge massive résultant du coup d’Etat du 15 juillet dernier ainsi que la mise en place après un référendum fort peu démocratique d’une nouvelle constitution instaurant le régime d’un seul homme : tout cela coupe la Turquie d’une UE qu’elle affirme vouloir toujours rejoindre et du camp des démocraties occidentales auquel elle dit appartenir. Désormais, pour Berlin, Bruxelles ou Paris, l’ambition européenne d’Ankara relève davantage d’un exercice de réalité virtuelle que d’une stratégique diplomatique crédible.

Clarification nécessaire

Une clarification est donc devenue nécessaire. Trois grandes questions doivent être posées sans détour. En premier lieu, la Turquie doit se positionner clairement aux côtés de l’OTAN dans les mécanismes intégrés de défense du camp occidental – où se trouvent ses débouchés et ses sources d’investissement direct – à moins de vouloir basculer dans le club des autocraties négligeant les droits de l’Homme, à l’instar de certains pays d’Europe orientale et d’Asie centrale. La Turquie se doit d’être fermement engagée dans la lutte contre Daech.

En second lieu, la Turquie doit faire le nécessaire pour réengager un dialogue avec l’Union Européenne, ne serait-ce qu’en déclarant explicitement que le rétablissement de la peine de mort n’est pas à l’ordre du jour ainsi qu’en libérant préventivement les députés du parti HDP et les nombreux journalistes et intellectuels actuellement emprisonnés.

Programme de quatre actions prioritaires

Enfin, la Turquie et l’UE doivent se mettre d’accord sur un programme de quatre actions prioritaires : modernisation de l’Union Douanière ; coopération structurée sur l’asile et la migration ; poursuite sans interférence politique des projets de modernisation institutionnelle et des programmes concernant démocratie, société civile, éducation et culture ; coopération antiterroriste. L’Etat de droit en sera un élément indispensable.

À ce jour, il n’est pas certain que le leadership turc ait mesuré l’ampleur réelle de son isolement diplomatique face à Washington (qui a reçu récemment la visite, largement formelle, du président turc), Bruxelles ou Moscou, ni évalué correctement les modalités d’un retour graduel à un dialogue mesuré avec l’Union Européenne. De fait, le discours virulent des médias nationalistes, aux antipodes des perceptions européennes, n’aide guère.

Au vu de l’effondrement dramatique de l’Etat de droit en Turquie, Ankara ne saurait s’attendre à des concessions que l’opinion publique en Allemagne, en France et dans l’UE en général n’accepterait pas. L’opportunité d’un retour au dialogue existe, mais la fenêtre du 25 mai est étroite.

Par Marc Pierini, ancien diplomate, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

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